Monergisme et synergisme dans le processus du salut

On propose ici une présentation des parts d’action humaines et divine dans le processus du salut relatives aux positions chrétiennes les plus notables. On considère les positions suivantes : l’augustinisme dont la déclinaison actuelle est le calvinisme[1]; le semi-augustinisme, dont une déclinaison actuelle est l’arminianisme[2]; le semi-pélagianisme et le pélagianisme. Bien qu’il s’agisse des principales positions issues historiquement du débat pélagien-augustinien, on peut remarquer qu’il existe toute une déclinaison de positions intermédiaires[3].

Pour caractériser les actions respectives de l’homme et de Dieu à chacune des étapes clés du processus du salut, on fait appel au concept de « monergisme », qui décrit l’action d’une seule partie, soit divine, soit humaine. Dans le cas d’une étape qui fait intervenir les deux parties, on parle alors d’un « synergisme »[4].

En ce qui concerne le lien entre action et responsabilité, le compatibilisme et l’incompatibilisme sont les deux vues philosophiques caractérisant les positions sotériologiques considérées. Or, comme on le verra, dans le cadre du compatibilisme, la responsabilité présumée d'une action ne permet pas de qualifier de manière non ambiguë son auteur[5].

On notera donc que le compatibilisme repose sur un déterminisme théologique qui est généralement défini de manière causale[6]. Quant à l’incompatibilisme, il est intrinsèquement défini de manière causale. Ainsi, on considère ici que l’auteur d’une action est celui qui en est la cause initiale (ou ultime).

Position compatibiliste

Le calvinisme ou l’augustinisme font intervenir le concept du semi-compatibilisme affirmant la compatibilité entre déterminisme et responsabilité morale humaine[7][8][9]. Ceci veut dire que l'homme est responsable des actions qu'il effectue et dont Dieu est la cause initiale. Ainsi, pour ce qui est du lien entre les actions et les responsabilités correspondantes, le processus de la vocation, de la régénération et de la conversion se déroule de la manière suivante :

La capacité de choisir et de vouloir la foi (appel efficace) et la foi elle-même (grâce irrésistible) sont données de manière irrésistible et inconditionnelle par Dieu à certains hommes. Ces hommes sont responsables moralement de choisir la foi. D’autre part, Dieu donne aux autres hommes des capacités diverses (grâce commune), mais qui ne comprennent pas la capacité de choisir et de vouloir la foi, ni la foi elle-même. Ces derniers sont également responsables moralement de rejeter la foi[10].

Pour ce qui est des actions seules, Dieu est le principal acteur de chacune des étapes du salut car il en est la cause initiale. Ainsi, la vocation, la régénération, et la conversion qui fait intervenir la foi sont des monergismes divins[11]. De même, la préservation est un monergisme divin[12].

On peut remarquer qu'il n'y a pas de consensus entre calvinistes à ce sujet puisque certains d'entre-eux affirment que la conversion est un synergisme dans une certaine mesure[13]. Par exemple, Sproul a déclaré : « Une fois que la grâce opérant la régénération est donnée, le reste du processus est synergique. C’est-à-dire qu’après que l’âme a été changée par la grâce effective ou irrésistible, la personne elle-même choisit Christ. Dieu ne fait pas le choix à sa place »[14] ; ou encore « la foi n’est pas monergique[15]. » Cela semble aussi avoir été exprimé par Berkhof[16].

On peut remarquer aussi que dans l’ordo salutis calviniste, la régénération précède la conversion. La conversion, faisant intervenir l’acceptation de la foi, est souvent présentée comme un « effet passif de la régénération » dont l'origine exclusivement divine est assez évidente. Pour certains calvinistes, cette relation logique de cause à effet montrerait que l’acceptation de la foi est aussi un monergisme divin[17]. Pourtant, dans le calvinisme, Dieu est la cause initiale de tout, donc tout est un intrinsèquement monergisme divin. De ce fait, l’ordre logique des étapes du processus du salut dans le calvinisme n’a strictement aucune incidence sur l’aspect synergique ou monergique de ces étapes.

Positions incompatibilistes

L’arminianisme / semi-augustinisme, le semi-pélagianisme et le pélagianisme font intervenir le concept d’incompatibilisme qui soutient l’incompatibilité entre déterminisme et libre arbitre[18]. Elles affirment que l’expérience de vie habituelle de l’homme est le libre arbitre libertarien qui permet de garantir la responsabilité morale humaine[19]. Ceci implique que Dieu est seul responsable des actions dont il est la cause initiale et l’homme est seul responsable des actions dont il est la cause initiale.

Dans l’arminianisme : Le processus de vocation, conversion et régénération implique les actions et responsabilités suivantes : Dieu donne la capacité de vouloir et choisir la foi à tous les hommes (grâce prévenante), d’autre part, la foi elle-même est donnée de manière résistible (grâce résistible). L’homme qui choisit la foi est moralement responsable de son acte de foi. L’homme qui ne choisit pas la foi est moralement responsable de son acte de rejet[20].

Pour ce qui est des actions seules, la vocation est un monergisme divin[21]. D'autre part, du moment que l’on considère la conversion comme un tout, alors dans l’arminianisme la conversion est synergique. En effet, la conversion comprend deux sous-étapes monergiques : Dieu donnant la foi et l’homme devant l’accepter. La régénération quant à elle est un monergisme divin[22]. Le processus advenant lors de la conversion advient lors de la préservation qui n’en est que la simple continuité, c’est-à-dire un synergisme.

Dans le semi-pélagianisme : Le processus de vocation, conversion et régénération implique les actions et responsabilités suivantes : L’homme possède la capacité de vouloir et de choisir la foi. L’homme qui choisit la foi est moralement responsable de son acte de foi. L’homme qui ne choisit pas la foi est moralement responsable de son acte de rejet[23].

Pour ce qui est des actions seules, la vocation et la conversion sont des monergismes humains, mais la régénération est un monergisme divin[24]. D’autre part, la préservation est un monergisme humain[25].

Dans le pélagianisme : Le processus de vocation, conversion et régénération implique les actions et responsabilités suivantes : L’homme possède la capacité d’obéir parfaitement à Dieu. La régénération équivaut donc à un changement volontaire de caractère moral. L’homme qui choisit le bien est moralement responsable de son acte, tandis que celui qui choisit de ne pas faire le bien est également moralement responsable de son acte[26].

Pour ce qui est des actions seules, chacune des étapes : vocation, conversion, régénération et préservation sont des monergismes humains[27][28].

Tableau récapitulatif

Étapes clés du processus du salutCalvinisme / AugustinismeArminianisme / Semi-augustinismeSemi-pélagianismePélagianisme
VocationMonergisme divinMonergisme divinMonergisme humainMonergisme humain
Conversion (par la foi)Monergisme divinSynergismeMonergisme humainMonergisme humain
RégénérationMonergisme divinMonergisme divinMonergisme divinMonergisme humain
Préservation (par la foi)Monergisme divinSynergismeMonergisme humainMonergisme humain

A noter que la présentation de ce tableau ne présume pas de l'ordre des étapes du processus de salut.

Appellations synthétiques

- Le processus du salut du calvinisme est parfois décrit comme un « monergisme divin », car Dieu cause la régénération, la foi et l’acceptation de la foi[29].

- Le processus du salut de l’arminianisme est parfois décrit comme un « synergisme initié par Dieu », car dans l’ordre, Dieu cause la foi, l’homme cause l’acceptation de la foi, et Dieu cause la régénération[30].

- Le processus du salut du semi-pélagianisme est parfois décrit comme un « synergisme initié par l’homme », car dans l’ordre, l’homme cause la foi, l’acceptation de la foi, et Dieu cause la régénération[31].

- Le processus du salut du pélagianisme est parfois décrit comme un « monergisme humain », car l’homme cause la foi, l’acceptation de la foi, et la régénération[32].

Notes et références

  1. BOUNDS, Christopher T.. How are People Saved? The Major Views of Salvation with a Focus on Wesleyan Perspectives and their Implications. Wesley and Methodist Studies, 2011, vol. 3, p. 43-45. « L'augustinisme existe principalement dans la tradition protestante réformée, avec des racines dans la théologie de Martin Luther et de Jean Calvin. »
  2. BOUNDS, 2011, p. 39-43. « […] les théologiens en dehors de la tradition wesleyenne ont utilisé le terme [semi-augustinisme] pour décrire la position arminienne, et de plus en plus, les wesleyens utilisent le terme pour décrire leur position et montrer sa relation avec l’augustinisme. »
  3. BOUNDS, 2011, p. 33.
  4. BOUNDS, 2011, p. 34-35.
  5. OLSON, Roger E. The Classical Free Will Theist Model of God. In : WARE, Bruce. Perspectives on the Doctrine of God: Four Views. Nashville, TN : B&H Publishing Group, 2008, p. 149.
  6. DERK, Pereboom. Theological Determinism and Divine Providence. In : PERSZYK, Ken [ed.]. Molinism: The Contemporary Debate. Oxford: Oxford University Press, 2011, p. 262. « [Le déterminisme théologique] est la position selon laquelle Dieu est la cause active et suffisante de tout dans la création, que ce soit directement ou par le biais de causes secondaires. »
  7. HELM, Paul. Calvin at the Centre. Oxford : Oxford University Press, 2010, p. 230. « [Calvin] considère que sa vision déterministe est compatible avec la responsabilité humaine. »
  8. KATHERIN, Rogers. Augustine’s Compatibilism. Religious Studies, 2004, vol. 40, n°4, p. 415. Disponible à l’adresse : https://doi.org/10.1017/S003441250400722X. « [Augustin] croit que bien que les causes des choix humains soient ultimement traçables à des facteurs externes à l’agent, cela est compatible avec le fait que les agents soient entièrement responsables de leur choix. »
  9. FISHER, John M.. Semicompatibilism. In : TIMPE, Kevin [ed.], GRIFFITH, Meghan [ed.], LEVY, Neil [ed.]. The Routledge Companion to Free Will. New York, NY : Routledge Taylor & Francis, 2017, p. 5. « En ce qui concerne le déterminisme causal, le semi-compatibilisme est l'opinion selon laquelle le déterminisme causal est compatible avec la responsabilité morale, indépendamment de la question de savoir si le déterminisme causal exclut la liberté de faire autrement. Là encore, le semi-compatibilisme ne prend pas position sur la question de savoir si le déterminisme causal exclut la liberté de faire autrement ; il est donc compatible à la fois avec le compatibilisme classique [...] et le rejet du compatibilisme classique. ».
  10. ASSEMBLÉE DE WESTMINSTER. Les Textes de Westminster. Aix-en-Provence : Kerygma, 1988, chap. 10, par. 1-4.
  11. PITKIN, Barbara. Faith and Justification. In : The Calvin Handbook. Grand Rapids : Eerdmans, 2008, p. 290.
  12. HORTON, Michael. For Calvinism. Grand Rapids, MI : Zondervan, 2011, chap. Perseverance of the saints. « La doctrine de la persévérance des saints reflète une vue au sujet du salut systématiquement monergique, comme étant seulement due à la grâce de Dieu du commencement à la fin. »
  13. Dans la mesure où on ignore momentanément qui est la cause initiale des actions humaines dans le calvinisme.
  14. SPROUL, R. C.. Willing to Believe: The Controvesy over Free Will. Grand Rapids, MI : Baker Books, 2002, p. 73.
  15. SPROUL, R. C.. Chosen by God. Wheaton: Tyndale House Publishers, Inc., 1986, p. 118.
  16. BERKHOF, Louis. Systematic Theology. Eerdmans: Grand Rapids, 1949, p. 473, 490. « La régénération est donc à concevoir de manière monergique. Dieu seul œuvre, et le pécheur n'y a aucune part. Ceci, bien sûr, ne signifie pas que l'homme ne coopère pas aux étapes ultérieures de l'œuvre de rédemption. Il est tout à fait évident d'après les Ecritures que c’est le cas. […] Mais bien que Dieu seul soit l'auteur de la conversion, il est d'une grande importance de souligner le fait, face à une fausse passivité, qu'il y a aussi une certaine coopération de l'homme à la conversion. »
  17. KIRKPATRICK, Daniel. Monergism or Synergism: Is Salvation Cooperative or the Work of God Alone?. Eugene, OR : Wipf and Stock Publishers, 2018, p. 136, 148. « Parce que la régénération (un aspect passif) est l’œuvre de Dieu seul, une telle cause instrumentale rend la conversion (son effet) passive. […] Sans la cause de la régénération, l’effet de la conversion n’aurait pas lieu. Ainsi, il n’y a aucune notion de synergisme dans le point de vue réformé sur la conversion. »
  18. OLSON, Roger E. The Classical Free Will Theist Model of God. In : WARE, Bruce. Perspectives on the Doctrine of God: Four Views. Nashville, TN : B&H Publishing Group, 2008, p. 149. « Le théisme classique du libre arbitre est ce modèle trouvé implicitement chez les anciens pères de l’Eglise grecs, la plupart des philosophes et théologiens médiévaux. […] Le théisme classique du libre arbitre décrit le libre arbitre comme incompatible avec le déterminisme. »
  19. MORELAND, J. P., CRAIG, William Lane. Philosophical Foundations for a Christian Worldview: 2nd Edition. Downers Grove, IL : IVP Academic, an imprint of InterVarsity Press, 2017, chap. Free will and determinism.
  20. OLSON, Roger E.. Arminian Theology : Myths and Realities. Downers Grove : InterVarsity Press, 2009, p. 35-37.
  21. STANGLIN, Keith D., MCCALL, Thomas H.. Jacob Arminius : Theologian of Grace. New York : Oxford University Press, 2012, p. 152. « […] Il y a une grâce qui vient en premier, précédant les décisions humaines, opérant uniquement de par Dieu en-dehors de nous (extra nos) de façon monergique, et pour emprunter l’image de Ap 3:20, qui se tient à la porte et frappe. En sus de cette grâce prévenante, opérante et qui frappe, il y a un second type de grâce qui suit la réception de la première grâce, et qui est « coopérative » dans un sens synergique, « ouvrant » la porte pour que la grâce puisse « entrer ». »
  22. FORLINES, Leroy. The Quest For Truth. Nashville, TN : Randall House, 2001, p. 160. « La participation active à la foi par le croyant signifie qu'elle doit être synergique. La réponse humaine ne peut pas être exclue de la foi. La justification et la régénération sont monergiques. Chacun est un acte de Dieu, pas de l'homme. La foi est un acte humain par habilitation divine et ne peut donc pas être monergique. »
  23. BOUNDS, 2011, p. 37.
  24. POHLE, Joseph. Semipelagianism. In : The Catholic Encyclopedia. New York : Robert Appleton Company, 1912, vol. 13. Disponible à l’adresse : https://www.newadvent.org/cathen/13703a.htm « En distinguant entre le commencement de la foi (initium fidei) et l'accroissement de la foi (augmentum fidei), on peut rapporter le premier au pouvoir du libre arbitre, tandis que la foi elle-même et son accroissement dépendent absolument de Dieu ».
  25. POHLE, 1912. « Quant à la persévérance finale, elle ne doit pas être considérée comme un don spécial de la grâce, puisque l'homme justifié peut de sa propre force persévérer jusqu'à la fin. »
  26. BOUNDS, 2011, p. 35-36.
  27. WILEY, H. Orton, CULBERTSON, Paul T.. Introduction à la théologie Chrétienne. Kansas City, MO : Beacon Hill Press, 1991, p. 294. Disponible à l’adresse : https://www.whdl.org/sites/default/files/resource/4567776/FR_wiley_intro_teologie_chretienne_lo.pdf. « Le pélagianisme, hérésie du début de l'Eglise, considérait la régénération comme une action volontaire de l'homme. La régénération était supposée être obtenue par l'illumination de l'intelligence par la vérité, et par la simple imitation de Christ et de sa vie. »
  28. Dans le finneyisme, variante du pélagianisme, la grâce de Dieu intervient de manière externe par l’encouragement de la Bible (comme dans le pélagianisme) mais aussi de manière interne. Dans ce dernier cas, le rôle du Saint-Esprit se limite à encourager l’homme à bien agir par ses propres capacités. (SMITH, Jay E.. The Theology Of Charles Finney: A System Of Self-Reformation. TRINJ, 1992, vol. 13, n°1, p. 77. Disponible à l’adresse : https://www.ntslibrary.com/PDF%20Books/Theology%20of%20Charles%20Finney%20-%20Smith.pdf « Puisque Finney ne permet pas à l'Esprit d'aller au-delà de la persuasion et de la motivation pour assurer le salut d'une personne, le véritable agent derrière la régénération est l'individu. »)
  29. SCHAFF, Philip. History of the Christian Church. Peabody, MA : Hendrickson, 1867, 2006, p. 783-865.
  30. SCHAFF, 2006. Ibid.
  31. SCHAFF, 2006. Ibid.
  32. SCHAFF, 2006. Ibid.

Article original : MUNCH, J.. Monergisme et synergisme dans le processus du salut. In : Blog de réflexion chrétien [en ligne]. 2023-02-05 [consulté le 2023-02-18]. Disponible à l’adresse : https://reflexionsjesus.wordpress.com/2023/02/05/tableau-monergisme-synergisme/ Reproduit avec autorisation.

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