Préface de Matthew Pinson
Nous réalisons rarement à quel point les petites choses que nous faisons peuvent avoir de l'importance. Il y a de nombreuses années, dans le cadre d'un cours de religion dans une université locale de Géorgie, j'ai enseigné à une jeune femme qui ne croyait pas en Dieu. J'ai ressenti un fardeau pour elle, et ma femme et moi avons commencé à prier pour elle et à lui parler de Dieu. Je lui ai donné un certain nombre de livres, dont le plus important était Les fondements du christianisme de C. S. Lewis. Très vite, elle reçut le Christ et commença à grandir dans sa foi.
Bien des années plus tard, alors que j'étais devenu président du Welch College [baptiste libre], elle ramena son fiancé à mon bureau pour me le présenter. C'était un pasteur conservateur de l'Église presbytérienne d'Amérique (PCA). Elle m'a expliqué qu'elle se posait des questions sur la doctrine du salut. Je lui ai alors donné deux livres d'arminiens réformés : Grace, Faith, Free Will de Robert Picirilli et The Quest for Truth de Leroy Forlines. Je me demandais si elle ou son futur mari allaient un jour lire ces livres.
Il y a plusieurs mois, son mari, Keith Coward, m'a contacté pour me dire qu'il était devenu un arminien convaincu. Il y a quelques semaines, son presbytère l'a démis de ses fonctions. Certains commentaires qu'il a récemment faits sur son parcours ont été repris par le site Internet de la Society of Evangelical Arminians (SEA), que j'ai reproduits ci-dessous, à la suite de quelques brèves remarques que Keith a placées sur le groupe de discussion des membres de la SEA lorsqu'on l'a interrogé sur le livre qui l'a amené à réfléchir de façon plus sérieuse au sujet de l'arminianisme. J'ai pensé que mes lecteurs trouveraient cela intéressant.
Synthèse du témoignage de Keith Coward
[...] Ma femme était athée lorsqu'elle fréquentait l'université. Elle a suivi un cours de religion pour satisfaire aux exigences de l'enseignement général. Le professeur l'a interpellée en lui donnant un exemplaire du livre : Les fondements du christianisme, en priant pour elle avec sa femme. Elle est finalement devenue croyante suite à cette influence. Avant notre mariage, nous étions à Nashville et je l'ai conduite chez son ancien professeur ; nous nous sommes rencontrés brièvement. Je suis sûr qu'il a été déçu de constater que cette jeune fille qu'il avait amenée à Christ sortait avec un pasteur de la PCA. Il lui a donné quelques livres, dont Grace, Faith, Free Will de Picirilli. Je ne suis même pas sûr qu'elle les ait lu, mais par curiosité et par respect pour l'homme qui a conduit ma future femme au Seigneur, je les ai lus. Le nom de ce professeur est Matthew Pinson, président du Welch College, qui s'appelait à l'époque le Free Will Baptist College. Je continue à m'amuser du fait que le Seigneur a atteint ma femme par l'intermédiaire d'un arminien conservateur dans un cours de religion d'une université laïque, et que cela a finalement conduit à ma propre conversion théologique.
Témoignage de Keith Coward
Lorsque j'ai été ordonné pasteur de l'Église presbytérienne d'Amérique (EPA) en 1999, j'ai affirmé avec enthousiasme mon accord avec sa déclaration doctrinale calviniste/réformée, la Confession de foi de Westminster (CFW). Ce même soir, j'ai également pris l'engagement de prendre l'initiative d'informer mon presbytère (l'organe ecclésiastique régional) dans la mesure où je ne me trouverais plus en accord avec son enseignement. Je ne m'attendais pas à devoir mettre en application cet engagement, car j'étais réformé depuis mon premier semestre de séminaire en 1992 et je « savais » à cette époque que j'avais raison. Pourtant, quinze ans plus tard, en avril 2014, il m'a fallu notifier à mon presbytère que je n'adhérais plus à ses normes confessionnelles. Je ne croyais plus que le calvinisme était un enseignement biblique.
J'avais choisi une école réformée non pas parce que j'étais d'accord avec la théologie réformée (TR), mais parce qu'un pasteur que j'appréciai particulièrement y enseignait. Ceci dit, j'ai rapidement adhéré au calvinisme, car je voulais ardemment comprendre comment les Écritures s'articulaient entre elles, et mes professeurs m'offraient un système complet prêt à l'emploi expliquant les 1 200 pages de la révélation divine. Ils étaient de loin plus sages que moi et pouvaient citer un grand nombre de versets qui semblaient enseigner la TULIP. Je n'avais ni le temps ni les compétences nécessaires pour éprouver leur interprétation de l'Écriture. De plus, la connaissance de Dieu étant infiniment plus grande que la mienne, je voulais adorer Dieu selon ses conditions, même si cela impliquait de croire que Sa Parole enseigne qu'Il ordonne tout ce qui arrive (y compris le salut ou la damnation de chaque homme). Je croyais sincèrement cela, je l'enseignais et je le défendais. J'ai même écrit une étude sur la CFW, expliquant les subtilités du système et répondant aux objections les plus courantes.
Pourtant, plusieurs événements m'ont amené à reconsidérer les points de vue de presque tous mes professeurs, mes collègues, mes amis et mes héros. Tout d'abord, une connaissance m'a donné un exemplaire d'un livre écrit par un « arminien réformé ». Je l'ai lu par curiosité, et bien qu'il ne m'ait pas du tout persuadé, il a remis en question mes préjugés envers les arminiens. L'Écriture me semblait sans équivoque soutenir la TR, et j'avais donc supposé que quiconque la niait était soit ignorant, soit arrogant. Soit, ils n'avaient pas lu la Bible avec suffisamment d'attention, soit ils ne voulaient tout simplement pas concevoir Dieu tel qu'il s'est révélé Lui-même. Or, ce livre propose une alternative claire au calvinisme et interagit intelligemment avec ses textes preuve préférés. L'auteur ne m'avait pas convaincu, mais il m'avait fait admettre une nouvelle catégorie de personnes : il y avait des non-calvinistes qui prenaient la Bible à cœur et croyaient honnêtement qu'elle enseignait le désir de Dieu de sauver tout le monde.
La deuxième chose qui a contribué à mon abandon du calvinisme est que je me suis de plus en plus familiarisé avec ce qu'il enseigne. Au séminaire, j'avais accepté les contours de la TR, mais je n'avais pas eu le temps d'en approfondir les détails. Au cours de la décennie qui a suivi l'obtention de mon diplôme, j'ai eu davantage de temps pour lire des théologiens réformés comme Calvin, Edwards, Frame et Reymond. J'en suis venu à comprendre ce que la TR enseigne sur le décret divin :
- que la liberté libertarienne est une illusion
- que Dieu réalise son plan éternel en déterminant et en contrôlant nos désirs
- que nous sommes responsables du péché non pas parce que nous aurions pu faire autrement, mais parce que nous avons fait ce que nous voulions faire (même si Dieu a déterminé que nous voudrions pécher).
J'ai accepté cet enseignement, encore une fois, car je pensais que l'Écriture l'enseignait. Néanmoins, cette familiarisation a introduit dans mes pensées une tension qui allait peser de plus en plus lourd au cours des années à venir.
La troisième chose qui m'a poussé à rejeter la TR est ce qui m'y avait initialement conduit : l'Écriture elle-même. En tant que pasteur, je prêchais à travers les livres de la Bible, verset après verset. Il m'arrivait de rencontrer un texte preuve calviniste classique et de me rendre compte qu'il ne disait pas nécessairement ce que je croyais qu'il disait. Jean 3 n'enseigne pas nécessairement que la régénération précède la foi. Jean 10 n'enseigne pas nécessairement que Jésus n'est mort que pour les élus. Éphésiens 1 n'enseigne pas nécessairement que Dieu a ordonné tout ce qui arrive. 1 Pierre 1 n'enseigne pas nécessairement que Dieu a élu des individus pour le salut de manière inconditionnelle, efficace et excluante. Une fois de plus, ces découvertes n'ont pas ébranlé ma confiance en la TR. Il y avait, selon moi, de nombreux passages qui l'enseignaient sans ambiguïté. Je considérais, par exemple, Romains 9 comme imprenables par les assauts arminiens. Néanmoins, je me suis rendu compte que la quantité de versets utilisés pour soutenir mon point de vue n'était peut-être pas un argument aussi fort que je le pensais, si lorsque l'on les examine individuellement, ils ne supportent pas le poids que nous, calvinistes, leur attribuons.
Je restais un calviniste engagé par choix et je souhaitais faire taire les questions qui me dérangeaient en trouvant des réponses pertinentes. Lors de mes vacances en octobre 2012, j'ai donc décidé de renforcer ma position calviniste en lisant quelques auteurs réformés. Mais mon projet s'est retourné contre mon objectif initial : J'avais commencé par un petit livret sur l'élection. L'auteur commençait par justifier son point de vue à partir de Ephésiens 1:4, un verset que j'avais étudié l'année précédente dans le cadre de mon enseignement sur l'épître aux Éphésiens. Durant ma propre étude, j'avais été frappé par les parallèles entre Deutéronome 4:37 ; 7:6-11 et le texte d’Éphésiens. Dans le premier texte, Dieu dit qu'il a choisi les Israélites pour être son peuple saint parce qu'il les a aimés à cause de leurs pères. Dans le second, Paul dit que Dieu nous a choisis pour être saints en Christ, ce qui peut facilement signifier « pour l'amour du Christ ». Pour Israël, l'élection était un concept corporatif, vocationnel et conditionnel. Il en était peut-être de même pour les chrétiens (voir 1P 2:9-10). Quoi qu'il en soit, je savais qu'il était possible d'interpréter Éphésiens 1:4 autrement que l'avait fait cet auteur calviniste. Il construisait son argumentation en faveur de l'élection sur un verset dont je savais qu'il ne pouvait pas supporter le poids que l'auteur voulait lui faire porter. J'ai commencé à me demander ce qu'il adviendrait d'autres textes preuve classiques si on les examinait avec attention et sans présupposés calvinistes.
J'ai donc décidé de changer mon programme de vacances : Au lieu d'essayer de renforcer ma confiance en la TR, j'ai commencé à étudier plusieurs textes soutenant ostensiblement le concept calviniste de l'élection inconditionnelle. Je me suis demandé s'il y avait une autre façon de comprendre ces passages. À ma grande surprise et à mon grand regret, j'ai découvert qu'il existait non seulement d'autres interprétations, mais qu'elles donnaient un meilleur sens aux textes au regard de leur contexte direct.
Ce fut un tournant dans ma vie. Pour la première fois, je me suis dit : « Quoi qu'il m'en coûte (et je savais que cela pouvait me coûter très cher), je veux connaître la vérité ». J'ai passé l'année et demie suivante à relire les Écritures, à lire des livres des deux positions opposées sur cette question, à écouter des débats et des conférences, à prier avec ferveur, à étudier des passages et à les méditer profondément. Peu à peu, mes questions sur la TR se sont transformées en doutes, et à la fin de l'année 2013, j'ai réalisé que mes doutes s'étaient transformés en incroyance. Je n'avais pas entièrement reconstruit ma théologie, mais il était clair que je ne trouvais plus le calvinisme cohérent, et encore moins biblique.
Par la suite, certains ont critiqué le fait que j'aie exploré l'arminianisme en privé, mais c'était une démarche raisonnable et prudente pour deux raisons : Premièrement, j'avais été exposé presque exclusivement à des théologiens calvinistes pendant 20 ans. Ils m'avaient donné le prisme à travers lequel je lisais les Écritures. J'avais besoin d'éprouver ce prisme à la lumière de la Parole de Dieu, et non de celle des hommes. J'avais besoin d'un espace mental pour examiner mes convictions sans que des influences extérieures ne me poussent à me conformer à une norme ecclésiale. J'avais besoin d'élargir mon dialogue intellectuel pour y inclure des voix provenant de l'ensemble de l'Église du Christ, et pas seulement d'une partie de celle-ci. Deuxièmement, je ne savais pas ce qui se passerait si mon consistoire découvrait mes questionnements avant même que je ne tire la moindre conclusion. Je n'étais pas dans la volonté de renier le calvinisme et j'avais besoin de temps pour réfléchir à mon questionnement. Aujourd'hui, vu de l'extérieur, je suis très préoccupé par la manière dont certains calvinistes découragent la dissidence, et je crains que l'intimidation ambiante empêche beaucoup d'envisager qu'ils puissent être mal orientés.
Conformément à mon vœu d'ordination, j'ai envoyé un courrier à mon presbytère en avril 2014 et, lors de la réunion de ce même mois, je me suis présenté devant mes pairs professionnels pour reconnaître que mon point de vue avait changé. Pour la plupart, ils ont réagi comme il se doit : Ils m'ont rencontré, ont prié pour moi et m'ont demandé de prendre un congé de réflexion pour reconsidérer la question en dialoguant avec des penseurs réformés. J'étais reconnaissant de cette opportunité de « vérifier mon travail » et j'ai bien utilisé ce temps. Malgré cela, 30 jours plus tard, je ne pouvais que leur indiquer que mes convictions n'avaient pas changé. Ils n'ont pas eu d'autre choix que de me démettre de mes fonctions au cours de leur réunion du mois de juillet. Mes accréditations en tant que pasteur de la PCA m'ont été retirées et je n'étais plus qualifié pour être le pasteur de la congrégation de la PCA que je servais.
Certaines de mes pires craintes se sont réalisées, mais ce périple était pour moi une simple question de fidélité à Jésus. Nous sommes appelés à croire ce que nous pensons que les Écritures enseignent et à obéir à ce que nous pensons que les Écritures demandent, par exemple en respectant nos engagements et en nous engageant à ne pas faire de mal à autrui. Parfois, notre amour pour Jésus signifie que nous devons perdre des amis, la reconnaissance et la sécurité de l'emploi, mais ce ne sont de petites choses à côté du plaisir de cheminer avec lui.
Quelques « amis » se sont détournés de moi, mais le plus grand soulagement dans ce processus a été de constater que la plupart d'entre eux m'ont soutenu. Même s'ils n'ont pas été d'accord avec moi, ils ont entendu mon cœur et continuent à m'aimer, à prier pour moi, et même à continuer de me fréquenter. Je leur en suis reconnaissant par-dessus tout. Les calvinistes et les arminiens se sont dit des choses blessantes les uns aux autres, de sorte que les esprits peuvent s'échauffer et les méfiances être profondes. Mais je n'ai ressenti aucune vanité ni aucun mépris au cours de ce périple. Je ne suis pas d'accord avec eux, mais parmi eux se trouvent certains des meilleurs hommes et femmes que j'aie jamais connus. Par la grâce de Dieu, je prie pour que mon amour pour eux tempère toujours ma critique de la TR et me garde également ouvert à leur critique.
D'un côté, j'ai gagné beaucoup plus de respect que j'en ai perdu dans ce processus. Nombreux sont ceux qui, au sein de la PCA, sont encore marqués par la malhonnêteté d'hommes qui avaient menti dans leurs engagements d'ordination avant leur séparation d'avec une dénomination traditionnelle en 1973. Ils ont donc salué mon honnêteté, même s'ils n'ont pas accueilli favorablement mon départ. Mais d'une manière subtile, j'ai également dû endurer la perte de respect. De nombreux calvinistes pensent, comme je le pensais avant, que les arminiens sont soit ignorants, soit arrogants. Comme personne n'a pu m'accuser ni de l'un ni de l'autre, je représente un problème pour eux. Ils ne sont pas prêts à admettre que j'ai pu quitter la TR pour de bonnes raisons, et ils ont donc cherché la cause de mon reniement. Personne ne me l'a dit explicitement, mais plusieurs ont laissé entendre que j'avais subi un lavage de cerveau en lisant les mauvais auteurs et commentaires. C'est une attitude condescendante et irrespectueuse qui fut douloureuse. Mais cela fut pour moi un bon exercice pour mettre en pratique l'exemple de Jésus : « Lorsqu'il était injurié, il n'injuriait pas en retour ; lorsqu'il souffrait, il ne menaçait pas, mais continuait à s'en remettre à celui qui juge avec justice » (voir 1P 2:21-23). Il est difficile de ne pas exiger le respect de ses opposants, mais je me demande si ce processus n'était pas une répétition des épreuves auxquelles nous pourrions tous être confrontés à mesure qu'il devient de plus en plus coûteux de suivre Jésus dans cette culture.
Enfin, j'ai perdu mon gagne-pain et je ne l'ai pas encore retrouvé à ce jour. J'ai connu des périodes de découragement et même de colère, car je me suis demandé pourquoi le Seigneur m'avait conduit sur ce chemin qui ne semblait mener nulle part. Mais il a abondamment pourvu aux besoins de ma famille et m'a rappelé de ne pas m'inquiéter de la manière dont j'allais payer mes factures, mais plutôt de ce qui lui plaît (Prov. 3:5-6 ; Mt. 6:33).
Au bout du compte, ce périple n'a pas consisté pour moi à uniquement trouver des bonnes réponses, mais à suivre Jésus. Je diffère de certains arminiens lorsque je dis que si, lorsque je rencontrerai le Seigneur, je découvre que les calvinistes avaient finalement raison, je tomberai à genoux dans l'adoration, je savourerai le sacrifice qui couvre les péchés commis dans l'ignorance et je lui ferai confiance pour obtenir la grâce de l'aimer tel qu'il est. Je ne suis pas à la recherche d'une religion centrée sur l'homme, plus agréable à mon ego, mais je l'ai suivi dans cette voie parce que je suis zélé pour son honneur en tant que Dieu aimant, Dieu juste et Dieu tellement souverain qu'il peut créer des créatures qui, comme lui, ne sont pas scénarisées, mais réellement libres et donc capables de l'aimer et d'être aimées par lui. Ce que mon périple m'a permis de trouver, c'est un Dieu qui est réellement à la hauteur du Dieu glorieux que les calvinistes prêchent.
Article original : PINSON, Matthew, COWARD, Keith. A Friendship, a Book, and a Change of Heart. In : MatthewPinson.com [en ligne]. Patheos, 2014-08-12 [consulté le 2022-09-09]. Disponible à l’adresse : https://matthewpinson.com/a-friendship-a-book-and-a-change-of-heart/