Existe-t-il une différence entre permettre et faire le mal ?

Massacre innocents

Ils peuvent former un drôle de ménage, mais sur un point, certains calvinistes, de nombreux athées et la plupart des théologiens du processus sont d'accord : il n'existe pas de différence réelle entre « faire le mal » et « permettre le mal ». Pour eux, l'affirmation traditionnelle des théistes du libre arbitre (et de nombreux calvinistes !) selon laquelle Dieu permet le mal mais ne fait jamais le mal est spécieuse.

Lorsque les calvinistes (ou d'autres déterministes divins) affirment qu'il n'existe pas de différence réelle entre le fait que Dieu fasse le mal et le fait qu'il le permette, ils s'opposent généralement à l'affirmation des théistes du libre arbitre (par exemple, les arminiens) selon laquelle le fait que Dieu dessine, ordonne, rend certain et gouverne le péché et le mal, rend Dieu monstrueux. Les calvinistes qui avancent cet argument contre le théisme du libre arbitre disent que si Dieu est omnipotent et qu'il puisse empêcher le mal de se produire sans le faire, serait tout aussi coupable, si tant est qu'il le soit, que s'il avait dessiné, ordonné, rendu certain et gouverné le mal.

Je demande à ces calvinistes de se référer à leurs propres théologiens, dont la plupart font également la distinction entre Dieu qui fait le mal, chose qu'il ne fait jamais, et Dieu qui permet le mal, chose qu'il est censé faire. La grande majorité des théologiens calvinistes se rabattent sur le langage de la permission divine lorsqu'ils décrivent le rôle de Dieu dans le péché et le mal. Bien entendu, des théologiens calvinistes tels que Paul Helm (dans The Providence of God) entendent clairement par « permission » de Dieu pour le péché et le mal quelque chose de différent de ce que les théologiens du libre arbitre entendent par ce terme. Malgré tout, ils considèrent qu'il s'agit d'une distinction comportant une différence. Les théologiens du libre arbitre, comme les arminiens, pensent pour leur part que l'explication calviniste consiste à reprendre de la main gauche ce qui a été donné de la main droite. D'ailleurs, j'ai lu très peu de théologiens calvinistes qui disent que Dieu fait ou cause le mal. Dans presque tous les cas, lorsqu'il s'agit d'exprimer le rôle de Dieu, ils font appel à une sorte de permission divine.

Les athées affirment parfois que si Dieu est omnipotent et qu'il puisse empêcher des maux tels que l'Holocauste de se produire, sans le faire, il n'est pas bon et ne doit donc pas exister. Il s'agit du traditionnel « problème du mal » de la philosophie moderne tel qu'il a été formulé par David Hume et de nombreux autres penseurs modernes. La question sous-jacente est de savoir si l'existence du mal gratuit sape la croyance en un Dieu entièrement bon [omnibénévolence] et tout puissant [omnipotence]. Dans ce contexte, le « mal gratuit » est un mal qui n'est pas nécessaire à un plus grand bien.

Les théologiens du processus sont d'accord avec les athées, mais rejettent l'omnipotence de Dieu au nom de la théodicée (la défense de la bonté de Dieu face au mal). Au final, bien entendu, ils ne sont donc pas d'accord avec les athées au sujet de l'existence de Dieu.

Il reste donc deux étranges compagnons de route sur la question de la différence entre Dieu faisant le mal et Dieu permettant le mal : les théistes traditionnels du libre arbitre (par exemple, les arminiens) et la plupart des penseurs calvinistes modernes (par exemple, Paul Helm). A ce propos, je trouve étrange que certains calvinistes ignorent leurs collègues calvinistes qui font cette distinction comportant une différence et qu'ils pointent un doigt accusateur sur les théistes du libre arbitre en prétendant qu'ils sont coupables de faire une distinction sans différence. Ma première réponse à ces personnes est la suivante : « Ne me pointez pas du doigt ! Demandez d'abord à vos collègues calvinistes ce qu'il en est ! ».

À tous ceux qui seraient tentés de prétendre que les penseurs calvinistes modernes et contemporains n'affirment pas cette différence, je ne peux que dire : « Vous ne les avez pas lus ». J'ai au moins vingt-cinq livres de théologiens calvinistes modernes et contemporains de premier plan sur le sujet de la souveraineté de Dieu sur mon étagère et je les ai tous lus et plus encore. Presque tous, au moins une fois, parlent de la permission donnée par Dieu au péché et au mal. Même Jean Calvin, après avoir nié que Dieu permette simplement quelque chose, écrit au moins une fois dans Institution de la Religion Chrétienne que Dieu permet le péché et le mal. Cela a été un sujet de désaccord majeur entre les arminiens et les calvinistes pour ce qui est de savoir qui est vraiment sincère lorsqu'il parle de la permission de Dieu pour le péché et le mal !

Passons maintenant à la question de savoir si la distinction (entre Dieu « faisant le mal » et « permettant le mal ») comporte une différence significative.

Il suffit de démontrer que tout le monde, y compris l'objecteur lui-même, sait qu'il existe une différence dans au moins une situation pour écarter l'affirmation générale selon laquelle il s'agit d'une distinction sans différence. En d'autres mots, s'il existe ne serait-ce qu'une seule situation où tout le monde, y compris l'objecteur, doit admettre qu'il existe une différence réelle entre « faire le mal » et « permettre le mal », alors l'affirmation selon laquelle il s'agit d'une distinction sans différence est vouée à l'échec.

Bien entendu, tout le monde sait bien qu'il y a une différence entre « faire le mal » et « permettre le mal ». Dans le premier cas qui est « faire le mal », le mal est réellement et physiquement accompli par celui qui le fait. Dans l'autre cas qui est « permettre le mal », le mal n'est pas réellement et physiquement accompli par celui qui le permet. C'est pourquoi, à ma connaissance, aucune loi n'existe dans une société civilisée qui assimile le fait de commettre un crime, à la permission de commettre un crime. Il est vrai que certaines sociétés ont criminalisé certains comportements incluant la permission d'un crime sans le commettre. Toutefois, la simple permission n'est jamais assimilée à la perpétration d'un crime, et ce, en raison de deux facteurs :

  1. une intentionnalité différente
  2. une implication physique différente

Et, bien entendu, tout le monde peut penser à des situations dans lesquelles il existe une réelle distinction morale (comportant une réelle différence) entre le fait de permettre qu'un mal se produise et le fait de faire le mal (ou de le causer). Il s'agit de situations où la permission est basée sur l'évitement d'un mal plus grand ou sur la réalisation d'un bien plus grand (par la permission du mal).

Imaginons, par exemple, qu'un vigile de banque armé soit témoin d'un braquage, qu'il puisse dégainer son arme à feu pour arrêter le braquage, mais qu'il ne le fasse pas. Il laisse le braquage se dérouler. Est-ce que le vigile a braqué la banque ? Non, pas du tout. Cependant, certains pourraient affirmer que le vigile dans ce scénario est nécessairement aussi coupable que le braqueur. Toutefois, ce n'est pas nécessairement le cas. Nous pouvons imaginer de nombreux scénarios dans lesquels la permission du braquage par le vigile serait justifiée. Supposons, par exemple, que le vigile sache que le voleur a une bombe et qu'il ferait sauter toute la banque si quelqu'un tentait de l'arrêter. Ou supposons, par exemple, que le vigile sache que le voleur a deux otages dans une voiture à l'extérieur de la banque qui seront tués par un complice si quelqu'un tentait de l'arrêter.

Nous n'avons pas besoin de réfléchir longtemps pour trouver plusieurs situations dans lesquelles une personne ayant le pouvoir d'arrêter un mal, mais ne le faisant pas, accomplit une chose totalement différente de l'exécution réelle du mal. Par exemple, dans le scénario hypothétique précédent, aucun jury ne condamnerait le vigile de la banque pour braquage (ou tout autre crime).

Sauf si... il s'avérait au cours du procès que l'on découvre que le vigile de la banque avait « dessiné, ordonné, rendu certain et gouverné » le braquage. Dans ce cas, je suis convaincu que le jury rejetterait toute allégation de la défense selon laquelle le vigile a simplement « permis » le braquage et le condamnerait pour quelque chose du type association de malfaiteurs. Il serait considéré comme aussi coupable que s'il avait réellement commis le braquage.

Mon seul et unique objectif, à ce stade, est que tout le monde puisse facilement concevoir des situations dans lesquelles permettre le mal et faire le mal sont deux choses totalement différentes. Ainsi, l'affirmation catégorique de certains selon laquelle il s'agit d'une distinction sans différence doit être balayée.

D'autres questions subsistent. Sans doute le défenseur astucieux de l'affirmation selon laquelle la permission divine du mal n'est pas différente de l'ordination divine du mal demandera ce qui justifie la permission par Dieu de maux tels que l'holocauste, si Dieu est omnipotent. Les calvinistes qui font la distinction entre l'ordination du mal par Dieu d'avec sa permission feront appel à un « plus grand bien » tel que la gloire de Dieu. En somme, selon cet argument calviniste, Dieu a ordonné de permettre le péché et le mal afin que tous ses attributs puissent être déployés sans préjudice fait à l'un d'entre eux. En d'autres termes, l'amour et la justice de Dieu devaient se manifester pour sa pleine glorification, de sorte que le péché, le mal et le jugement devaient être permis et que la permission de Dieu à cet égard soit efficace. En d'autres termes, c'est cette permission qui a rendu le péché et le mal certains.

Les théistes du libre arbitre affirment que ce récit de l'implication de Dieu dans le mal et le péché est une distinction sans différence. Dans ce cas, à l'instar du vigile de la banque qui ne s'est pas opposé au vol parce qu'il a concouru à son organisation, il n'existe pas de réelle différence morale entre « permettre » et « faire ». Dans ce cas, soit Dieu est coupable du péché et du mal ordonné et permis, soit le malfaiteur n'est pas coupable (ou les deux).

Les théistes du libre arbitre, de leur côté, font généralement appel aux conditions nécessaires du libre arbitre pour justifier la permission par Dieu du péché et du mal (et de la souffrance des innocents). Il existe de nombreux ouvrages à ce sujet, notamment des sections dans Le problème de la souffrance de C. S. Lewis, Providence de Peter Geach, The Nature of Necessity d'Alvin Plantinga, Philosophical Theology (Vol. 2) de F. R. Tennant et Evil and the God of Love de John Hick. L'explication la plus brève, la plus simple et pourtant la plus profonde de cette « défense du libre arbitre » se trouve dans Evil and the Christian God (Baker, 1982) du philosophe évangélique Michael Peterson. Une explication similaire, plus facilement accessible, se trouve dans Is God to Blame ? de Gregory Boyd.

Tous ces penseurs chrétiens soutiennent que le libre arbitre nécessite un environnement de lois naturelles et prédictibles incluant le risque et la capacité à faire le mal. En d'autres mots, même Dieu ne peut pas créer un monde qui inclue un véritable libre arbitre et une véritable responsabilité morale tout en intervenant constamment pour empêcher les maux gratuits de se produire. La capacité de faire un grand bien inclut la capacité de faire un grand mal. Si cela vous semble contraire à votre intuition, je vous invite à lire l'argumentation soigneusement élaborée par Peterson dans Evil and the Christian God, dans laquelle il utilise les arguments de Plantinga, Lewis et Geach pour soutenir sa thèse.


Article original : OLSON, Roger E.. Is There a Difference between “Permitting Evil” and “Doing Evil?”. In : Roger E. Olson: My Evangelical, Arminian Theological Musings [en ligne]. Patheos, 2015-01-12 [consulté le 2022-01-10]. Disponible à l’adresse : https://www.patheos.com/blogs/rogereolson/2015/01/is-there-a-difference-between-permitting-evil-and-doing-evil/