Commentaire biblique d'Actes 13:48

Temps homme ciel

1. Introduction

Lorsque des controverses sur la nature de l'élection biblique surgissent, le verset d'Actes 13:48 finit inévitablement par être évoqué. Il y a, en particulier, un mot dans ce verset qui a généré une abondante littérature et de nombreux de débats. A. W. Pink déclare : « Toutes les subtilités de l'intelligence humaine ont été employées pour émousser le tranchant de ce passage et pour essayer d'atténuer la signification évidente de ces paroles, mais en vain1PINK, A. W. The Sovereignty of God Revised Edition. Carlisle, PA: Banner of Truth Trust, 1976, p. 48. ». Le verset se lit comme suit :

« Les païens se réjouissaient en entendant cela, ils glorifiaient la parole du Seigneur, et tous ceux qui étaient destinés à la vie éternelle crurent ». (Actes 13:48)

Nous pouvons comprendre pourquoi les calvinistes voient ici un soutien à leur doctrine de l'élection inconditionnelle. Il est affirmé que la destination [ou la nomination pour la plupart des traductions bibliques anglaises] à la vie éternelle précède la croyance. Bruce Ware est allé jusqu'à dire que « l'élection individuelle au salut est la seule lecture raisonnable de ce que Luc rapporte ici2WARE, Bruce A.. Divine Election to Salvation. In : BRAND, Chad Owen [ed.]. Perspectives on Election: Five Views. Nashville, TN: B&H Academic, 2006, p. 44. ». Bien que Ware exagère certainement, il est clair que les calvinistes considèrent ce passage comme l'une des preuves les plus solides de l'élection inconditionnelle. À ce titre, il convient d'y prêter une attention toute particulière. [...]

2. Interprétation arminienne

La façon la plus convaincante de réfuter l'argument calviniste tiré d'Actes 13:48 est probablement de remettre en question la traduction du verbe tetagmenoi (tasso) par « destiné »3WHITBY, Daniel. A Discourse Concerning The True Import of the Words Election and Reprobation Third Edition. London, UK: F. C. and J. Rivington, 1816, p. 70-71. Il est d'ailleurs intéressant de noter que le calviniste J. Oliver Buswell Jr. reconnaît que la traduction par « disposition » est possible et même probable dans Actes 13:48. Voir A Systematic Theology of the Christian Religion. Grand Rapids, MI: Zondervan, 1962, vol. 2, p. 152-153.. Le sens propre habituel de ce mot est « arranger »4YOUNG, Robert. Young’s Analytical Concordance of the Bible. Peabody. MA: Hendrickson Publishers, 2018, p. 46. STRONG, James. Dictionary of the Greek New Testament. In : The New Strong’s Exhaustive Concordance of the Bible. Nashville, TN: Thomas Nelson, 1984, p. 71.. Néanmoins, dans ce contexte, il s'agirait de toute évidence d'une traduction maladroite d'Actes 13:48 : « Tous ceux qui étaient arrangés pour la vie éternelle crurent ». Le mot implique l'idée d'être réglé, ordonné, déterminé ou aligné5Cleon L. Rogers Jr. et Cleon L. Rogers III citent « mettre en place », une autre façon de dire « positionné », comme le sens premier du mot. Voir The New Linguistic and Exegetical Key to the Greek New Testament. Grand Rapids, MI : Zondervan, 1998, p. 262.. Cela pourrait, certes, signifier que Dieu avait décidé que ces païens recevraient la vie éternelle. Mais il peut aussi signifier que les païens étaient simplement résolus dans leur désir ou leur but de recevoir la vie éternelle, qu'ils étaient métaphoriquement en position de recevoir la vie éternelle. Comme le dit B. J. Oropeza, « l'idée derrière ce verset peut être simplement qu'ils étaient prédisposés à croire au message sur Jésus6OROPEZA, B. J.. In the Footsteps of Judas and Other Defectors. Eugene. OR: Wipf and Stock, 2011, p. 114. ». La grammaire du texte lui-même ne favorise aucune des deux interprétations. D'un point de vue lexical et grammatical, « disposé » est une traduction légitime du mot tasso7Voir ALFORD, Henry. The Greek New Testament : Volume 2 Seventh Edition. Cambridge, UK : Deighton, Bell, and Co., 1877, p. 153 ; Timothy Friberg pense que « disposé » est moins probable que « destiné » dans Actes 13:48, mais reconnaît néanmoins que « disposé » est admissible. Voir Analytical Lexicon of the Greek New Testament. Bloomington. IN : Trafford Publishing, 2005, p. 375 ; Max Zerwick dit que le mot peut signifier que les Gentils « avaient été mis sur le chemin de la vie éternelle » voir ZERWICK, Maximilian, GROSVERNOR, Mary. A Grammatical Analysis of the Greek New Testament. Rome, Italie : Gregorian and Biblical Press, 2016, p. 396 ; Fait intéressant, BDAG, le lexique du NT qui fait le plus autorité, ne prend pas le mot comme « destiné » dans Actes 13:48. Voir ABASCIANO, Brian. On the Translation of Acts 13:48. In : Society of Evangelical Arminians [en ligne]. 2015-03-12 [consulté le 2022-11-10]. Disponible à l’adresse : https://evangelicalarminians.org/brian-abasciano-on-the-translation-of-acts-1348/.. Il faut reconnaître que le mot est franchement ambigu. Brian Abasciano suggère que la traduction du mot la plus neutre serait « fixée »8Abasciano semble également favorable à la traduction de la phrase par « tous ceux qui étaient alignés [...] » ou « tous ceux qui étaient en position de [...] ».. Cette traduction est suffisamment large pour permettre à la fois l'interprétation privilégiée des calvinistes « destiné », et l'interprétation privilégiée des arminiens « disposé »9ABASCIANO, Brian. On the Translation of Acts 13:48. In : Society of Evangelical Arminians [en ligne]. 2015-03-12 [consulté le 2022-11-10]. Disponible à l’adresse : https://evangelicalarminians.org/brian-abasciano-on-the-translation-of-acts-1348/.

Étant donné que la grammaire permet de comprendre tetagmenoi aussi bien comme « destiné/nommé » que comme « disposé », nous devons déterminer quelle est la meilleure interprétation en nous basant sur le contexte d'Actes 13. Je considère que les arguments contextuels en faveur de la traduction du mot par « disposé » sont convaincants. Pour comprendre pourquoi, considérons un instant ce que l'on entend par « disposition ». Ce mot est défini comme une « tendance dominante, une humeur ou une inclination10Disposition. In : Merriam-Webster [en ligne]. 2023. Disponible à l'adresse : https://www.merriam-webster.com/dictionary/disposition ». Une disposition comprend plusieurs éléments distincts. Il s'agit notamment, mais pas exclusivement, 1) d'un niveau de préparation et 2) d'un désir. Nous pourrions décrire une personne disposée comme étant prête et désireuse. Actes 13 présente ces deux éléments. Au verset Ac 13:44, nous constatons que les païens manifestaient une grande curiosité, car il est dit que toute la ville s'était rassemblée pour écouter les paroles de Paul. Cela suggère que de nombreux païens étaient soit préparés à la vie éternelle par les paroles de Paul, soit déjà préparés à la vie éternelle par l'action du Saint-Esprit11La traduction de la God's Word Bible traduit tetagmenoi par « préparé » en Actes 13:48. La Lighthouse Bible (2006), The Emphatic Diaglott New Testament (1942) et la Rotherham Emphasized Bible (1902) traduisent toutes tetagmenoi par « disposé ». Voir également HART, David Bentley. The New Testament : A Translation. Londres, Royaume-Uni : Yale University Press, 2017, p. 251.. Cet élément de disposition est donc clairement présent dans le texte. En outre, le verset Ac 13:48 dit clairement que lorsque Paul a proposé l'Évangile aux païens, ils étaient heureux, ils se sont réjouis et ils ont loué Dieu. Cela prouve que les païens désiraient déjà la vie éternelle, et donc qu'un autre élément de la disposition est rempli. Compte tenu de ces faits, il semble évident que certains des païens de l'auditoire de Paul étaient certainement disposés à la vie éternelle (prêts et désireux de l'obtenir). Il est impensable que « presque toute la ville » (verset Ac 13:44) soit venue entendre Paul et Barnabé prêcher, se réjouir que l’Évangile leur soit accessible, et que pourtant aucun d'entre eux n'était disposé à la foi en Christ. Il est évident que tous n'étaient pas prêts à croire à ce moment-là. Par conséquent, seul ceux qui étaient disposés à croire ont cru. Ils voulaient la vie éternelle, mais ne savaient pas qu'elle leur était accessible jusqu'à ce que Paul la leur propose. Ainsi, dans ce contexte, la traduction de tetagmenoi par « disposés » a du sens. Comme le dit Alexander Maclaren,

Il semblerait beaucoup plus pertinent et conforme au contexte de comprendre le mot rendu par « ordonné » [destiné] comme signifiant « adapté » ou « aligné », plutôt que d'y trouver une référence à la préordination divine. [...] Il s'agirait alors d'une référence à « l'état d'esprit des païens, et non aux décrets de Dieu »12MACLAREN, Alexander. Exposition of the Holy Scripture: Acts Volume II. New York, NY: Hodder & Stoughton and George H. Doran Co, n.d., p. 48..

3. Interprétation calviniste

3.1. Arguments avancés par les calvinistes

Les calvinistes avancent deux arguments principaux pour privilégier « destiné/nommé » à « disposé » dans Actes 13:4813Un troisième argument que les calvinistes utilisent parfois est de souligner que tasso est fréquemment utilisé dans des contextes militaires. Cela est apparemment censé justifier la traduction du mot par « désigné » ou « destiné ». Cependant, le mot n'est pas exclusivement utilisé dans des contextes militaires. Actes 13:48 n'est clairement pas un contexte militaire, et ce point ne plaide donc pas en faveur de la traduction du mot par « désigné » ou « destiné ».. Le premier argument vient du fait que la plupart des traductions disent « destiné/nommé »14WHITE, James R.. The Potter’s Freedom. Amityville, NY: Calvary Press Publishing, 2000, p. 186-190.. Cependant, cet argument est manifestement fallacieux car il s'agit simplement d'un appel à la majorité (dans la terminologie philosophique, il s'agit d'un argumentum ad populum). [...] Le fait de souligner que la plupart des traducteurs ont préféré « destiné » n'est pas en soi un argument en faveur de cette traduction. Si la question porte sur les raisons de traduire le verbe par « destiné », ce n'est pas une réponse que de dire qu'il a été traduit très souvent de cette manière. Une telle réponse ne répond pas à la question initiale. Certes, la charge de la preuve incombe à celui qui prétend que tetagmenoi devrait être traduit par « disposé ». Cependant, à mon avis, les arminiens ont fourni suffisamment d'arguments contextuels en faveur de la traduction par « disposé » (voir la discussion ci-dessus). Les traductions ne font pas autorité, et la raison de la traduction courante par « destiné » s'explique facilement par la tradition dans la traduction15Dans le même ordre d'idées, il convient de rappeler que la traduction est une entreprise humaine. En tant que telle, toute traduction de la Bible est également une interprétation de la Bible. Les traducteurs ne sont pas exempts de préjugés théologiques qui affectent inévitablement la manière dont ils choisissent de traduire certains mots. Voir ABASCIANO, Brian. James White's Faulty Treatment of the Greek and Context of Acts 13:48. In : Society of Evangelical Arminians [en ligne]. 2015-03-04 [consulté le 2022-11-10]. Disponible à l’adresse : https://evangelicalarminians.org/brian-abasciano-james-whites-faulty-treatment-of-the-greek-and-context-of-acts-1348/.. Brian Abasciano résume bien la situation en disant,

Les traductions ne sont pas des arguments concernant le sens d'un mot, comme si chaque traduction était en fait un argument pour ou contre un sens particulier. Une traduction représente simplement le jugement majoritaire d'un comité de traduction16ABASCIANO, Brian. A Reply to James White Concerning His Faulty Treatment of the Greek and Context of Acts 13:48. In : Society of Evangelical Arminians [en ligne]. 2015-03-04 [consulté le 2022-11-10]. Disponible à l’adresse : https://evangelicalarminians.org/brian-abasciano-a-reply-to-james-white-concerning-his-faulty-treatment-of-the-greek-and-context-of-acts-1348/..

Le deuxième argument des calvinistes pour privilégier « destiné » à « disposé » est basé sur les autres utilisations de tasso par Luc dans le Nouveau Testament. Contrairement au premier argument, celui-ci repose sur des principes herméneutiques solides. Lorsque le sens d'un mot est en question, l'examen des autres utilisations du mot par le même auteur biblique se doit d'être pris en considération. Luc utilise ce mot, ou une variante de la racine commune tasso, à quatre autres endroits17Luc 7:8 ; Actes 15:2 ; Actes 22:10 ; et Actes 28:23. Dans chacun de ces autres cas, il serait absurde de traduire le mot par « disposé ». Par ce fait, certains calvinistes affirment que « destiner/nommer » est la meilleure traduction en raison de l'usage que Luc fait de ce mot ailleurs.

Contrairement au premier argument, celui-ci mérite une attention sérieuse. Le premier point à noter est que l'utilisation de ce mot par Luc est assez limité, puisqu'il n'est utilisé que cinq fois au total. Avec si peu d'utilisations, il ne semble pas que l'on puisse être dogmatique en affirmant que Luc n'a jamais voulu dire « disposé », quand bien même il ne l'utiliserait pas avec cette signification aux autres endroits. Comme le dit Brian Abasciano,

[P]lus l'échantillon de l'utilisation d'un mot par un auteur est petit, moins cet usage est fiable pour juger de la façon dont l'auteur utiliserait le mot dans un cas donné18ABASCIANO, Brian. A Reply to James White Concerning His Faulty Treatment of the Greek and Context of Acts 13:48. In : Society of Evangelical Arminians [en ligne]. 2015-03-04 [consulté le 2022-11-10]. Disponible à l’adresse : https://evangelicalarminians.org/brian-abasciano-a-reply-to-james-white-concerning-his-faulty-treatment-of-the-greek-and-context-of-acts-1348/..

Cela nous amène à la deuxième considération. Sur les cinq utilisations totales, seules trois ont une forme passive19Ibid.. Cela montre que Luc ne s'est pas senti obligé d'utiliser ce mot uniquement pour vouloir dire « destiné ». Dans 1 Corinthiens 16:15, tasso fait indubitablement référence à une disposition de la volonté intérieure plutôt qu'à une sorte de destination divine. Parlant de la maison de Stéphanas, Paul dit qu'ils se sont « dévoués » au ministère. Le terme « dévouement » implique l'idée d'un désir enthousiaste20Par exemple, on pourrait dire qu'un bon mari est dévoué à sa femme.. Bien que tasso ne soit manifestement pas utilisé de la même manière en 1 Corinthiens 16:15 qu'en Actes 13:48, cela démontre malgré tout que le mot grec peut désigner l'attitude ou le désir d'une personne. Par conséquent, « disposé » est un sens parfaitement acceptable pour ce mot. Ainsi, bien qu'il faille prendre en considération le fait que les quelques autres usages de Luc ne signifient pas « disposé », cela ne permet pas de trancher la question de manière décisive.

Nous arrivons maintenant à une dernière considération. Comme nous l'avons indiqué, bien que les autres utilisations du mot méritent d'être examinées, c'est en fin de compte le contexte qui doit définir le sens. Nous devons toujours nous garder de supposer que les auteurs bibliques n'ont attribué qu'un seul sens aux mots qu'ils ont utilisés21OSBORNE, Grant R.. The Hermeneutical Spiral. Downers Grove, IL: InterVarsity Press, 1991, p. 72-73.. Il n'y a tout simplement rien dans le contexte d'Actes 13 qui indiquerait que Luc voulait que tetagmenoi soit compris comme « destiné », alors qu'il y a de fortes raisons de penser qu'il voulait qu'il soit compris comme « disposé ». En effet, le fait que le contexte d'Actes 13 soit si différent de celui des autres passages est en soi une raison de soupçonner que Luc n'utilisait pas le mot de la même manière. Il convient peut-être aussi de souligner que Luc aurait pu facilement utiliser le mot horizō, qui signifie sans ambigüité « destiner/nommer ». Il faut d'ailleurs noter que Luc utilise généralement ce mot lorsqu'il dit que Dieu désigne/destine quelque chose22Luc 22:22 ; Actes 2:23 ; Actes 10:42 ; Actes  17:26 ; Actes 17:31.

3.2. Objection à l'interprétation calviniste

Il convient maintenant de présenter un argument s'opposant à la traduction du mot par « destiné/nommé ». Pour qu'Actes 13:48 soutienne le calvinisme, il est nécessaire que Dieu soit l'agent de l'action. Cela implique que tetagmenoi soit lu comme un passif divin23Même s'il s'agissait d'un passif divin, les arguments en faveur d'une compréhension du mot comme « disposé » gardent toute leur pertinence. Dire que Dieu a disposé certains païens à la vie éternelle est parfaitement compatible avec l'arminianisme. Le fait que « disposé » est une possibilité indépendamment du fait que tetagmenoi soit ou non un passif divin appuie la solidité de cette interprétation.. Cependant, il n'y a absolument aucune raison exégétique de lire cela comme un passif divin. Il n'est pas dit que Dieu fait quoi que ce soit dans ce passage. « Il n'y a aucune preuve que Luc avait à l'esprit un decretum absolutum du salut personnel24ROBERTSON, A. T.. Word Pictures in the New Testament: Volume 3: The Acts of the Apostles. Nashville, TN: Broadman Press, 1930, p. 200. ». Une fois de plus, les observations d'Abasciano s'avèrent précieuses :

Le passif représente le sujet qui agit. Mais techniquement, le passif seul n'indique pas qui est l'agent de l'action, et il est même possible que le sujet soit lui-même l'agent25ABASCIANO, Brian. On the Translation of Acts 13:48. In : Society of Evangelical Arminians [en ligne]. 2015-03-12 [consulté le 2022-11-10]. Disponible à l’adresse : https://evangelicalarminians.org/brian-abasciano-on-the-translation-of-acts-1348/.

Par conséquent, rendre ce mot par « destiné » nous oblige à lire dans le texte quelque chose qui n'y figure tout simplement pas. Cela fait de « destiné » une traduction ad hoc26Laurence Vance souligne ce point, mais son argument perd beaucoup de sa force car il néglige de donner une interprétation positive d'Actes 13:48. Voir VANCE, Laurence M.. The Other Side of Calvinism. Pensacola, FL: Vance Publications, 2002, p. 347-348..

La réfutation habituelle de cet argument est que les Juifs répugnaient à mentionner Dieu dans leurs écrits. Or, ce n'est manifestement pas le cas dans le Nouveau Testament. Les auteurs du Nouveau Testament parlent fréquemment de Dieu en train d'accomplir des actions. Il est également intéressant de noter ici qu'il y a de bonnes raisons de penser que Luc n'était pas juif. Mais le point important est que Luc n'hésite pas à dire explicitement que Dieu a accompli une action (voir Actes 2:23 et 16:14). La question reste donc posée : Si Luc voulait transmettre l'idée que Dieu destinait des personnes au salut, pourquoi n'existe-t-il aucune référence à l'action de Dieu dans ce passage ?

Les calvinistes soutiennent parfois que tetagmenoi doit être compris comme un passif divin, car seul Dieu destine/nomme des personnes à la vie éternelle. Mais une courte réflexion permet d'identifier la circularité fallacieuse de cet argument. Toute la controverse porte sur la traduction du mot tetagmenoi. Cette ligne argumentaire suppose d'abord que « destiné / nommé » est la bonne traduction et seulement après argumente qu'il doit donc être compris comme un passif divin. Mais, cela soulève la question plus que n'y répond. Les arminiens soutiennent que, contextuellement, « destiné » est une traduction moins probable que « disposé ». L'un des arguments avancé par les arminiens est l'absence de preuve explicite d'une quelconque action divine associée à la disposition/destination. Par conséquent, afin d'atténuer cet argument, les calvinistes doivent démontrer qu'il existe une raison contextuelle de lire cela comme un passif divin avant de vouloir prétendre que « destiné » est la traduction la plus judicieuse. Soutenir que parce que le mot est mieux traduit par « destiné/nommé », il doit donc être lu comme un passif divin présuppose ce que les calvinistes doivent justement prouver, à savoir que « destiné » est, de fait, la meilleure traduction de tetagmenoi dans Actes 13:48.

Il convient également de noter que si nous concluons que Dieu a destiné certains païens pour la vie éternelle, aucun autre païen de cette foule ne sera jamais sauvé par la suite, car le passage indiquerait alors clairement que tous ceux qui ont été destinés pour la vie éternelle ont cru27FORLINES, Leroy. Classical Arminianism. Nashville, TN: Randall House, 2011, p. 164-165.. Les calvinistes sont peut-être prêts à accepter ce fait, mais il sert tout de même à souligner à quel point il est ad hoc de lire cela comme un passif divin. Luc a certainement l'intention de montrer que la portée de l'Évangile s'élargit, et non qu'elle se restreint à quelques païens (Actes 13:49).

Enfin, la théologie générale de Luc favorise la traduction par « disposition ». En effet, d'autres versets dans les écrits de Luc semblent donner de la crédibilité à l'interprétation arminienne. Dans Luc 1:16-17, par exemple, nous voyons que Luc croyait que Dieu utilisait des hommes pour « préparer » les personnes au salut. Cela semble donner une certaine plausibilité à l'idée que Luc aurait considéré les païens dans Actes 13:48 comme ayant été « préparés » par les paroles de Paul et Barnabé. La compréhension calviniste d'Actes 13:48 nous obligerait à insérer dans Actes 13 quelque chose que nous ne trouvons nulle part ailleurs dans la théologie de Luc. Le point de vue arminien, pour sa part, s'accorde parfaitement avec le reste de Luc et des Actes.

4. Réponses aux objections à l'interprétation arminienne

Les calvinistes font généralement quatre objections au type d'interprétation que je viens de proposer. Premièrement, ils contestent la légitimité lexicale de « disposé » pour tetagmenoi. Deuxièmement, ils contestent la cohérence de la traduction de tetagmenoi par « disposé ». Troisièmement, ils affirment que la traduction du verbe par « disposé » contredit la dépravation totale. Quatrièmement, ils affirment que tasso n'est utilisé nulle part ailleurs avec pour signification « disposé ». Je vais examiner chacune de ces objections.

4.1. La légitimité lexicale

Premièrement, les calvinistes objectent généralement que très peu de lexiques grecs incluent « disposé » comme sens possible du mot. Ils affirment, par ce fait, que « destiné / nommé » est incontestablement une traduction plus légitime et donc préférable à « disposé ». Cette objection semble quelque peu fallacieuse. S'il est vrai que tous les lexiques grecs ne reconnaissent pas « disposé » comme sens possible, ils reconnaissent néanmoins « décidé », « positionné », « aligné » et « fixé ». L'utilisation de ces mots donnerait lieu à des traductions du type :

  • tous ceux qui étaient décidés pour la vie éternelle ont cru
  • tous ceux qui étaient positionnés pour la vie éternelle ont cru
  • tous ceux qui étaient alignés pour la vie éternelle ont cru
  • tous ceux qui étaient fixés sur la vie éternelle ont cru

Toutes ces expressions pourraient exprimer essentiellement la même chose que la traduction par « disposé ». Elles expriment toutes l'idée que les païens voulaient la vie éternelle et avaient été amenés à cet état spécifique28Les plus-que-parfaits périphrastiques expriment généralement une construction stative (qui traduit un état d'être plutôt qu'une action ou un processus). Voir BURTON, Ernest DeWitt. Syntax of The Moods and Tenses in New Testament Greek. Chicago, IL: University of Chicago Press, 1906, p. 45.. Abasciano dit à juste titre : « [La traduction] "ont été fixés sur" semble être un bon rendu partiellement dynamique (seulement partiel parce que le "fixé" est tout à fait littéral, alors que le "sur" est dynamique)29ABASCIANO, Brian. A Conversation about the Translation of Acts 13:48. In : Society of Evangelical Arminians [en ligne]. 2015-03-16 [consulté le 2022-11-10]. Disponible à l’adresse : https://evangelicalarminians.org/brian-abasciano-a-conversation-about-the-translation-of-acts-1348/ ». Ainsi, même si les calvinistes n'aiment pas le mot « disposé » parce que certains lexiques ne l'incluent pas comme sens possible, la grammaire le permet et le contexte favorise toujours la traduction du mot d'une manière qui est presque synonyme de « disposé ». Bien que je pense que « disposé » rende le mieux l'intention de Luc, ce n'est en aucun cas la seule façon possible de traduire ce mot. Chacune des quatre traductions énumérées ci-dessus exprime le même sens fondamental. Plus important encore, toutes ces traductions sont incontestablement légitimes. En tant que telle, cette objection à la traduction du mot par « disposé » n'atténue pas beaucoup l'argument que j'ai avancé, car je peux simplement remplacer « disposé » par l'une de ces autres traductions. De plus, il faut se rappeler que « nommé / déterminé » n'est pas l'unique sens propre de tetagmenoi. En effet, BDAG, le lexique le plus reconnu en matière de traduction du Nouveau Testament, ne considère pas que tetagmenoi en Actes 13:48 soit mieux compris comme « nommé / déterminé ». Ainsi, même si nous excluons la possibilité de « disposé », les calvinistes doivent encore présenter des raisons contextuelles pour penser que « désigné / destiné » est la meilleure traduction. Cependant, comme je l'ai expliqué plus haut, le contexte n'offre aucune raison de préférer cette traduction.

Si le premier argument n'a pas été jugé concluant, passons au second. Est-il même cohérent de dire que les païens étaient passivement « disposés à » ou « fixés sur » la vie éternelle ? Qui ou quoi les a disposés à la vie éternelle ? Deux questions se posent ici. La première concerne la traduction de l'expression « étaient disposés à la vie éternelle ». La seconde concerne l'identité de la cause ou du moyen par lequel les païens ont été disposés à la vie éternelle. Je les examinerai l'une après l'autre.

4.2. La cohérence de l'expression

Certains calvinistes, comme James White, soutiennent parfois que la construction périphrastique de cette phrase doit être traduite par un plus-que-parfait30WHITE, James R.. The Potter’s Freedom. Amityville, NY: Calvary Press Publishing, 2000, p. 189.. Le plus-que-parfait est un passé parfait qui indique qu'une action a été accomplie avant un moment passé. Dans le cas présent, le fait d'avoir disposé a été accompli avant le fait d'avoir cru. Les lecteurs auront peut-être remarqué que j'ai préféré l'interprétation suivante du verset : « Tous ceux qui étaient disposés à la vie éternelle ont cru ». Cependant, une traduction au plus-que-parfait passif ressemblerait à ceci : « Tous ceux qui avaient été disposés à la vie éternelle ont cru ». Il est donc clair que la disposition à la vie éternelle a eu lieu avant la croyance. De plus, puisque tetagmenoi est à la voix passive, il s'ensuit que les païens étaient passifs alors qu'ils étaient disposés à la vie éternelle. À partir de là, on soutient parfois que la traduction « disposé » est incohérente. Ceux qui soutiennent cette objection affirment qu'il n'y a aucun sens à ce que quelqu'un soit passivement « disposé » ou « fixé » sur quelque chose par un moyen extérieur.

Avant d'aborder directement cet argument, permettez-moi de souligner qu'il n'est tout simplement pas vrai que cette construction périphrastique doit être traduite comme un plus-que-parfait. Elle doit être interprétée comme un plus-que-parfait, mais elle n'a pas besoin d'être traduite comme telle. Les plus-que-parfaits sont souvent traduits au passé simple31WALLACE, Daniel. Greek Grammar Beyond the Basics: An Exegetical Syntax of the New Testament. Grand Rapids, MI: Zondervan, 1996, p. 583.. Par conséquent, si l'on estime que tetagmenoi est mieux compris comme « disposé » sur la base du contexte, alors il n'y a aucune raison, en principe, de ne pas le traduire par « étaient disposés ».

Pour en venir à l'argument principal, il n'est tout simplement pas vrai que l'on ne peut pas être passivement disposé à l'égard de quelque chose. La voix passive décrit effectivement un sujet comme étant agi. Mais, comme nous l'avons vu plus haut, la voix passive permet au sujet de s'impliquer et de participer. Prenons quelques exemples :

  • Ceux qui étaient disposés à l'égard du candidat démocrate ont voté pour lui.
  • L'homme qui était disposé à se marier a demandé sa petite amie en mariage.
  • Les étudiants qui étaient fixés sur la réussite de leur examen ont réussi.
  • L'enfant dont les pensées étaient fixées sur des choses paisibles s'est endormi.

Dans tous ces exemples, nous voyons que les sujets ont été influencés par des facteurs externes dans le passé qui ont eu des résultats qui ont conduit à leurs propres actions. Bien que la traduction au plus-que-parfait soit légèrement plus maladroite que la traduction au passé simple, elle ne rend absolument pas la phrase incohérente. La construction périphrastique en plus-que-parfait signifie simplement que la disposition a eu lieu avant la croyance.

Les arminiens n'ont aucun problème avec cela. Curieusement, James White affirme que cette disposition devrait « [avoir] lieu au moment même où les apôtres citent Ésaïe et proclament que les païens peuvent recevoir les bénédictions de l'Évangile32WHITE, James R.. The Potter’s Freedom. Amityville, NY: Calvary Press Publishing, 2000, p. 189. ». Mais pourquoi les arminiens devraient-ils accepter cette affirmation ? La disposition aurait pu se produire à travers une pléthore de facteurs précédant l'offre de l'évangile, le plus évident étant la prédication de Paul et Barnabé avant l'offre aux Gentils (voir la discussion ci-dessous).

Après avoir établi la cohérence de cette traduction, examinons la question de savoir qui ou quoi a disposé les païens à la vie éternelle. Il n'y a probablement pas une seule réponse possible à cette question. Toutefois, la réponse la plus évidente serait la prédication de Paul et Barnabé au verset Ac 13:44. Il semble que Paul prêchait encore dans une synagogue juive et principalement à des Juifs. Cependant, les Juifs ont commencé à discuter avec Paul et Barnabé (verset Ac 13:45). Tout au long de la prédication de Paul et Barnabé et de la discussion qui s'ensuit, les païens écoutaient et, sans doute, certains d'entre eux en sont venus à désirer la vie éternelle. Mais ce n'est qu'aux versets Ac 13:46-47 que Paul et Barnabé indiquent clairement que la vie éternelle était désormais accessible aux païens. Lorsque les païens ont entendu cela, ils ont été ravis (Ac 13:48). Le fait qu'ils commencent à se réjouir et à louer Dieu prouve que certains d'entre eux désiraient la vie éternelle et étaient donc disposés à la recevoir. Ainsi, la prédication a probablement été la cause première de leur disposition à la vie éternelle. Mais il y a d'autres moyens possibles par lesquels les païens auraient pu être disposés à la vie éternelle. Il pourrait notamment s'agir du témoignage des craignant Dieu33Craignant-Dieu (christianisme). In : Wikipédia : L’encyclopedie libre [en ligne]. 2020 [consulté le 2022-02-07]. Disponible à l'addresse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Craignant-Dieu_(christianisme). « Les Craignant-Dieu (au singulier en grec ancien : φοβούμενος τὸν Θεόν, phoboumenos ton Theon) sont, pendant la période du Second Temple, un groupe de « gentils », ou non-juifs, proches du judaïsme hellénistique sans être cependant convertis au judaïsme. Évoqués dans le Nouveau Testament (Épîtres de Paul, Évangiles, Actes des Apôtres), ils forment une communauté à part, majoritairement gréco-romaine, qui adhère à la foi monothéiste de la Torah mais n'est pas tenue de se soumettre à toutes les pratiques du judaïsme, dont la cacherout et surtout la circoncision. C’est principalement dans le milieu des Craignant-Dieu que se développe le christianisme primitif. Le centurion Corneille décrit en Actes 10 est l'un de ces Craignant-Dieu, comme l'est probablement Luc, auteur de l'Évangile selon Luc et des Actes. De nombreux Craignant-Dieu sont mentionnés dans les inscriptions de synagogues du monde hellénistique. » Contenu soumis à la licence CC-BY-SA 4.0. mentionnés au verset Ac 13:43, de la révélation générale de Dieu à travers la création (Romains 1), de la conviction du Saint-Esprit et de la grâce prévenante de Dieu. Je suis d'accord avec la manière dont Brian Abasciano résume cela :

Luc utilise le langage qu'il emploie (tasso) et le passif de manière à ne pas indiquer formellement comment ou pourquoi ces païens sont parvenus à la position d'être prêts pour la vie éternelle. Le comment et le pourquoi sont évidents d'après le contexte (la prédication de l'évangile étant l'une des principales raisons parmi d'autres). Mais Luc formule les choses de cette manière parce qu'il ne se préoccupe pas particulièrement de la manière dont ils ont été préparés ou de ce qui les a préparés. Ce sur quoi il se concentre, c'est l'obtention de la vie éternelle par les païens. [...] Il dit en substance que tous ceux qui avaient l'intention et étaient vraiment prêts pour la vie éternelle ont cru à l'Évangile34ABASCIANO, Brian. A Conversation about the Translation of Acts 13:48. In : Society of Evangelical Arminians [en ligne]. 2015-03-16 [consulté le 2022-11-10]. Disponible à l’adresse : https://evangelicalarminians.org/brian-abasciano-a-conversation-about-the-translation-of-acts-1348/.

4.3. L'incompatibilité avec la dépravation totale

James White a une autre objection à faire valoir contre cet argument. Il prétend que la traduction du verbe par « disposé » est incompatible avec l'enseignement biblique de la dépravation de l'homme. Il écrit :

La différence n'est pas que certains étaient mieux ou plus « disposés » à l'égard de l'Évangile que d'autres (l'idée même d'être disposé à l'égard de l'Évangile est tout à fait contraire à l'enseignement de Paul dans Romains 8:7-8), la différence est que certains ont été désignés pour la vie éternelle dans le cadre du décret éternel de Dieu35WHITE, James R.. The Potter’s Freedom. Amityville, NY: Calvary Press Publishing, 2000, p. 189.

En d'autres termes, si l'homme est totalement dépravé, il ne peut pas être disposé à la foi en Christ. Le problème de l'argument de White est qu'il est circulaire. Il a supposé que l'élection inconditionnelle est vraie et que, par conséquent, seuls ceux qui ont été choisis par Dieu seront régénérés afin qu'ils puissent croire. Mais les arminiens ne partagent pas cette hypothèse. Bien que nous soyons tout à fait d'accord sur le fait que l'homme est totalement dépravé, Dieu ne laisse pas l'homme dans sa condition impuissante et déchue. Dieu permet aux hommes de croire et d'être sauvés. C'est la doctrine de la grâce prévenante. [...] Ainsi, il suffit d'établir que la traduction « disposé » n'est pas du tout incompatible avec la doctrine de la dépravation totale, car Dieu peut permettre aux pécheurs de croire et les attirer à lui. Ceux qui répondent à cette grâce peuvent à juste titre être considérés comme ayant été disposés à la vie éternelle.

[Pour en savoir plus sur la doctrine de la grâce prévenante : Éléments de théologie sur la grâce prévenante]

4.4. L'inexistence de traduction similaire

Enfin, nous en arrivons à l'objection selon laquelle comprendre tetagmenoi comme « disposé » nous oblige à adopter une interprétation de la racine tasso fondamentalement différente de celle que nous trouvons partout ailleurs. En d'autres termes, défendre cette interprétation de tetagmenoi est un plaidoyer extraordinaire puisqu'il n'y a pas d'autres usages où elle a cette signification. Il y a une once de vérité dans cet argument. Il n'y a, en effet, pas d'autres endroits où tasso a cette signification dans le Nouveau Testament. Mais il s'agit là d'un point plutôt insignifiant. Tout d'abord, le mot tasso n'est pas souvent utilisé dans le Nouveau Testament. Le mot ayant un éventail assez large de significations possibles, il n'est pas impossible qu'il ait un sens unique dans un contexte particulier compte tenu de l'usage limité du mot. Par exemple, dans 1 Corinthiens 16:15, le mot signifie « dévoué ». Nulle part ailleurs dans le Nouveau Testament, tasso n'a ce sens. Étant donné que le contexte d'Actes 13 est un contexte unique dans lequel le mot apparaît, il ne serait en rien surprenant que le mot ait un sens unique dans ce cas précis.

De plus, cet argument échoue lamentablement lorsqu'on examine l'usage du mot tasso en dehors du Nouveau Testament36Je tiens à remercier Brian Abasciano de m'avoir indiqué les sources anciennes citées dans cette section.. Il existe un certain nombre d'utilisations non bibliques du mot qui signifient « disposé » ou quelque chose de similaire. Nous examinerons cinq exemples non bibliques, un de Josèphe et quatre de Philon37On objecte parfois qu'il faut s'en tenir au Nouveau Testament pour établir le sens d'un mot. Cependant, cela ne tient pas compte du fait que le Nouveau Testament est un produit de son époque et qu'en tant que tel, les auteurs ont utilisé les mots conformément à l'usage accepté à cette époque. Par conséquent, il est non seulement valable, mais aussi judicieux de consulter la littérature contemporaine lorsqu'on étudie le sens des mots. Voir KLEIN, William W., BLOMBERG, Craig L., HUBBARD, Robert L.. Introduction to Biblical Interpretation. Dallas, TX : Word Publishing, 1993, p. 197..

Flavius Josèphe a écrit,

Bien que Roboamos et la multitude, enfermés dans la ville par l'avancée de l'armée d'Isōkos, aient imploré Dieu de leur accorder la victoire et la délivrance, ils n'ont pas obtenu de Dieu qu'il se range (tasso) de leur côté38Antiquities of the Jews 8:256.

Se ranger du côté de quelque chose signifie le soutenir, être favorablement disposé à son égard ou s'aligner sur lui. Tout cela est également inclus dans le mot « disposé ».

Un deuxième exemple nous vient de Philon. Il écrit :

Mais tu sais que ce n'est pas tout le monde qui le fera, car il y a des millions d'hommes enrôlés39Littéralement « fixer » (tasso) dans votre alliance, mais seulement celui qui est un ami de la vertu et un ennemi irréconciliable pour toi40PHILON. Quod deterius potiori insidiari 1:166.

L'enrôlement implique l'idée de rejoindre, d'entrer ou de s'inscrire. Tous ces termes impliquent généralement une disposition favorable à l'égard de quelque chose, et le contexte de la déclaration de Philon confirme qu'il s'agit bien de cette idée dans le cas présent. Bien que le sens ne soit pas exactement le même que celui de « disposé », il inclut malgré tout l'idée de disposition.

Un troisième exemple provient également de Philon,

C'est pourquoi Dieu existe (tasso) selon l'unicité et l'unité ; ou plutôt, nous devrions dire que l'unicité existe selon le Dieu unique, car tout nombre est plus récent que le monde, comme l'est aussi le temps41PHILON. Legum allegoriarum 2:3.

Bien que traduit par « existe », une traduction plus littérale pourrait être « Dieu est placé/arrangé/positionné/ordonné selon l'unicité et l'unité ». L'idée de base semble être que la nature de Dieu est disposée à l'unicité et à l'unité.

Philon a également écrit,

Les épines que Moïse appelle ici, symboliquement, et sur lesquelles l'appétit irrationnel se précipite d'abord comme un feu, et qu'il s'empresse de rencontrer, puis, s'unissant (tasso) à elles, il consume et détruit toute sa propre nature et ses propres actions42Legum allegoriarum 3:248.

S'unir à quelqu'un ou à quelque chose implique une union des objectifs et des désirs. Cela diffère peu (voire pas du tout) de la disposition à l'égard de quelque chose. Au minimum, cela inclut le fait d'être disposé à l'égard de quelque chose.

Enfin, comme dernier exemple, Philon a écrit,

Ils pensaient qu'en tout état de cause, ils ne se rangeraient (tasso) d'aucun côté, mais qu'ils conserveraient une stricte neutralité, en levant les mains43PHILON. De vita Mosis. 1:239.

Bien que cette traduction présente le sujet en train d'effectuer l'action, il s'agit d'un passif. Plus littéralement, on peut lire : « ils ne seraient rangés ni d'un côté ni de l'autre ». Il s'agit d'une référence claire à la disposition de leurs volontés. Il serait parfaitement exact de comprendre Philon comme disant qu'ils ne seraient pas disposés d'un côté ou de l'autre44Un autre exemple possible de Philon se trouve dans De ebrietate 1:144. Le contexte semble autoriser soit « nommé/destiné », soit « disposé ». Ce passage n'est donc pas décisif pour nous aider à trancher..

5. Conclusion

[...] J'ai proposé de lire tetagmenoi comme signifiant « disposé ». L'objection selon laquelle la plupart des traductions traduisent par « destiné / nommé » a été jugée invalide. L'objection selon laquelle Luc n'utilise le mot de cette manière nulle part ailleurs a été examinée, mais n'a finalement pas été jugée déterminante. En outre, il a été observé que la traduction « destiné » se heurte à certaines difficultés qui, sans être insurmontables, méritent d'être prises en considération. Enfin, quatre préoccupations courantes concernant la traduction de ce mot par « disposé » ont été examinées et jugées injustifiées sur la base de preuves lexicales, grammaticales et d'autres usages anciens du mot.

Actes 13:48 est certainement un texte controversé. Je pense que les preuves permettent de soutenir que la signification la plus probable de tetagmenoi est « disposé ». Bien que je ne pense pas avoir démontré que « destiné / nommé » est une traduction impossible, je crois avoir démontré que « disposé » est une alternative crédible. Il est donc très discutable que ce texte soutienne la doctrine de l'élection inconditionnelle. Les calvinistes feraient bien de chercher dans d'autres passages un soutien exégétique à l'élection inconditionnelle car ce verset n'est clairement pas un argument décisif pour leur théologie.


Source des citations bibliques : La Sainte Bible : nouvelle édition de Genève 1979. Genève : Société Biblique de Genève, 1979.

Références

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    WARE, Bruce A.. Divine Election to Salvation. In : BRAND, Chad Owen [ed.]. Perspectives on Election: Five Views. Nashville, TN: B&H Academic, 2006, p. 44.
  • 3
    WHITBY, Daniel. A Discourse Concerning The True Import of the Words Election and Reprobation Third Edition. London, UK: F. C. and J. Rivington, 1816, p. 70-71. Il est d'ailleurs intéressant de noter que le calviniste J. Oliver Buswell Jr. reconnaît que la traduction par « disposition » est possible et même probable dans Actes 13:48. Voir A Systematic Theology of the Christian Religion. Grand Rapids, MI: Zondervan, 1962, vol. 2, p. 152-153.
  • 4
    YOUNG, Robert. Young’s Analytical Concordance of the Bible. Peabody. MA: Hendrickson Publishers, 2018, p. 46. STRONG, James. Dictionary of the Greek New Testament. In : The New Strong’s Exhaustive Concordance of the Bible. Nashville, TN: Thomas Nelson, 1984, p. 71.
  • 5
    Cleon L. Rogers Jr. et Cleon L. Rogers III citent « mettre en place », une autre façon de dire « positionné », comme le sens premier du mot. Voir The New Linguistic and Exegetical Key to the Greek New Testament. Grand Rapids, MI : Zondervan, 1998, p. 262.
  • 6
    OROPEZA, B. J.. In the Footsteps of Judas and Other Defectors. Eugene. OR: Wipf and Stock, 2011, p. 114.
  • 7
    Voir ALFORD, Henry. The Greek New Testament : Volume 2 Seventh Edition. Cambridge, UK : Deighton, Bell, and Co., 1877, p. 153 ; Timothy Friberg pense que « disposé » est moins probable que « destiné » dans Actes 13:48, mais reconnaît néanmoins que « disposé » est admissible. Voir Analytical Lexicon of the Greek New Testament. Bloomington. IN : Trafford Publishing, 2005, p. 375 ; Max Zerwick dit que le mot peut signifier que les Gentils « avaient été mis sur le chemin de la vie éternelle » voir ZERWICK, Maximilian, GROSVERNOR, Mary. A Grammatical Analysis of the Greek New Testament. Rome, Italie : Gregorian and Biblical Press, 2016, p. 396 ; Fait intéressant, BDAG, le lexique du NT qui fait le plus autorité, ne prend pas le mot comme « destiné » dans Actes 13:48. Voir ABASCIANO, Brian. On the Translation of Acts 13:48. In : Society of Evangelical Arminians [en ligne]. 2015-03-12 [consulté le 2022-11-10]. Disponible à l’adresse : https://evangelicalarminians.org/brian-abasciano-on-the-translation-of-acts-1348/.
  • 8
    Abasciano semble également favorable à la traduction de la phrase par « tous ceux qui étaient alignés [...] » ou « tous ceux qui étaient en position de [...] ».
  • 9
    ABASCIANO, Brian. On the Translation of Acts 13:48. In : Society of Evangelical Arminians [en ligne]. 2015-03-12 [consulté le 2022-11-10]. Disponible à l’adresse : https://evangelicalarminians.org/brian-abasciano-on-the-translation-of-acts-1348/
  • 10
    Disposition. In : Merriam-Webster [en ligne]. 2023. Disponible à l'adresse : https://www.merriam-webster.com/dictionary/disposition
  • 11
    La traduction de la God's Word Bible traduit tetagmenoi par « préparé » en Actes 13:48. La Lighthouse Bible (2006), The Emphatic Diaglott New Testament (1942) et la Rotherham Emphasized Bible (1902) traduisent toutes tetagmenoi par « disposé ». Voir également HART, David Bentley. The New Testament : A Translation. Londres, Royaume-Uni : Yale University Press, 2017, p. 251.
  • 12
    MACLAREN, Alexander. Exposition of the Holy Scripture: Acts Volume II. New York, NY: Hodder & Stoughton and George H. Doran Co, n.d., p. 48.
  • 13
    Un troisième argument que les calvinistes utilisent parfois est de souligner que tasso est fréquemment utilisé dans des contextes militaires. Cela est apparemment censé justifier la traduction du mot par « désigné » ou « destiné ». Cependant, le mot n'est pas exclusivement utilisé dans des contextes militaires. Actes 13:48 n'est clairement pas un contexte militaire, et ce point ne plaide donc pas en faveur de la traduction du mot par « désigné » ou « destiné ».
  • 14
    WHITE, James R.. The Potter’s Freedom. Amityville, NY: Calvary Press Publishing, 2000, p. 186-190.
  • 15
    Dans le même ordre d'idées, il convient de rappeler que la traduction est une entreprise humaine. En tant que telle, toute traduction de la Bible est également une interprétation de la Bible. Les traducteurs ne sont pas exempts de préjugés théologiques qui affectent inévitablement la manière dont ils choisissent de traduire certains mots. Voir ABASCIANO, Brian. James White's Faulty Treatment of the Greek and Context of Acts 13:48. In : Society of Evangelical Arminians [en ligne]. 2015-03-04 [consulté le 2022-11-10]. Disponible à l’adresse : https://evangelicalarminians.org/brian-abasciano-james-whites-faulty-treatment-of-the-greek-and-context-of-acts-1348/.
  • 16
    ABASCIANO, Brian. A Reply to James White Concerning His Faulty Treatment of the Greek and Context of Acts 13:48. In : Society of Evangelical Arminians [en ligne]. 2015-03-04 [consulté le 2022-11-10]. Disponible à l’adresse : https://evangelicalarminians.org/brian-abasciano-a-reply-to-james-white-concerning-his-faulty-treatment-of-the-greek-and-context-of-acts-1348/.
  • 17
    Luc 7:8 ; Actes 15:2 ; Actes 22:10 ; et Actes 28:23
  • 18
    ABASCIANO, Brian. A Reply to James White Concerning His Faulty Treatment of the Greek and Context of Acts 13:48. In : Society of Evangelical Arminians [en ligne]. 2015-03-04 [consulté le 2022-11-10]. Disponible à l’adresse : https://evangelicalarminians.org/brian-abasciano-a-reply-to-james-white-concerning-his-faulty-treatment-of-the-greek-and-context-of-acts-1348/.
  • 19
    Ibid.
  • 20
    Par exemple, on pourrait dire qu'un bon mari est dévoué à sa femme.
  • 21
    OSBORNE, Grant R.. The Hermeneutical Spiral. Downers Grove, IL: InterVarsity Press, 1991, p. 72-73.
  • 22
    Luc 22:22 ; Actes 2:23 ; Actes 10:42 ; Actes  17:26 ; Actes 17:31
  • 23
    Même s'il s'agissait d'un passif divin, les arguments en faveur d'une compréhension du mot comme « disposé » gardent toute leur pertinence. Dire que Dieu a disposé certains païens à la vie éternelle est parfaitement compatible avec l'arminianisme. Le fait que « disposé » est une possibilité indépendamment du fait que tetagmenoi soit ou non un passif divin appuie la solidité de cette interprétation.
  • 24
    ROBERTSON, A. T.. Word Pictures in the New Testament: Volume 3: The Acts of the Apostles. Nashville, TN: Broadman Press, 1930, p. 200.
  • 25
    ABASCIANO, Brian. On the Translation of Acts 13:48. In : Society of Evangelical Arminians [en ligne]. 2015-03-12 [consulté le 2022-11-10]. Disponible à l’adresse : https://evangelicalarminians.org/brian-abasciano-on-the-translation-of-acts-1348/
  • 26
    Laurence Vance souligne ce point, mais son argument perd beaucoup de sa force car il néglige de donner une interprétation positive d'Actes 13:48. Voir VANCE, Laurence M.. The Other Side of Calvinism. Pensacola, FL: Vance Publications, 2002, p. 347-348.
  • 27
    FORLINES, Leroy. Classical Arminianism. Nashville, TN: Randall House, 2011, p. 164-165.
  • 28
    Les plus-que-parfaits périphrastiques expriment généralement une construction stative (qui traduit un état d'être plutôt qu'une action ou un processus). Voir BURTON, Ernest DeWitt. Syntax of The Moods and Tenses in New Testament Greek. Chicago, IL: University of Chicago Press, 1906, p. 45.
  • 29
    ABASCIANO, Brian. A Conversation about the Translation of Acts 13:48. In : Society of Evangelical Arminians [en ligne]. 2015-03-16 [consulté le 2022-11-10]. Disponible à l’adresse : https://evangelicalarminians.org/brian-abasciano-a-conversation-about-the-translation-of-acts-1348/
  • 30
    WHITE, James R.. The Potter’s Freedom. Amityville, NY: Calvary Press Publishing, 2000, p. 189.
  • 31
    WALLACE, Daniel. Greek Grammar Beyond the Basics: An Exegetical Syntax of the New Testament. Grand Rapids, MI: Zondervan, 1996, p. 583.
  • 32
    WHITE, James R.. The Potter’s Freedom. Amityville, NY: Calvary Press Publishing, 2000, p. 189.
  • 33
    Craignant-Dieu (christianisme). In : Wikipédia : L’encyclopedie libre [en ligne]. 2020 [consulté le 2022-02-07]. Disponible à l'addresse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Craignant-Dieu_(christianisme). « Les Craignant-Dieu (au singulier en grec ancien : φοβούμενος τὸν Θεόν, phoboumenos ton Theon) sont, pendant la période du Second Temple, un groupe de « gentils », ou non-juifs, proches du judaïsme hellénistique sans être cependant convertis au judaïsme. Évoqués dans le Nouveau Testament (Épîtres de Paul, Évangiles, Actes des Apôtres), ils forment une communauté à part, majoritairement gréco-romaine, qui adhère à la foi monothéiste de la Torah mais n'est pas tenue de se soumettre à toutes les pratiques du judaïsme, dont la cacherout et surtout la circoncision. C’est principalement dans le milieu des Craignant-Dieu que se développe le christianisme primitif. Le centurion Corneille décrit en Actes 10 est l'un de ces Craignant-Dieu, comme l'est probablement Luc, auteur de l'Évangile selon Luc et des Actes. De nombreux Craignant-Dieu sont mentionnés dans les inscriptions de synagogues du monde hellénistique. » Contenu soumis à la licence CC-BY-SA 4.0.
  • 34
    ABASCIANO, Brian. A Conversation about the Translation of Acts 13:48. In : Society of Evangelical Arminians [en ligne]. 2015-03-16 [consulté le 2022-11-10]. Disponible à l’adresse : https://evangelicalarminians.org/brian-abasciano-a-conversation-about-the-translation-of-acts-1348/
  • 35
    WHITE, James R.. The Potter’s Freedom. Amityville, NY: Calvary Press Publishing, 2000, p. 189
  • 36
    Je tiens à remercier Brian Abasciano de m'avoir indiqué les sources anciennes citées dans cette section.
  • 37
    On objecte parfois qu'il faut s'en tenir au Nouveau Testament pour établir le sens d'un mot. Cependant, cela ne tient pas compte du fait que le Nouveau Testament est un produit de son époque et qu'en tant que tel, les auteurs ont utilisé les mots conformément à l'usage accepté à cette époque. Par conséquent, il est non seulement valable, mais aussi judicieux de consulter la littérature contemporaine lorsqu'on étudie le sens des mots. Voir KLEIN, William W., BLOMBERG, Craig L., HUBBARD, Robert L.. Introduction to Biblical Interpretation. Dallas, TX : Word Publishing, 1993, p. 197.
  • 38
    Antiquities of the Jews 8:256
  • 39
    Littéralement « fixer »
  • 40
    PHILON. Quod deterius potiori insidiari 1:166
  • 41
    PHILON. Legum allegoriarum 2:3
  • 42
    Legum allegoriarum 3:248
  • 43
    PHILON. De vita Mosis. 1:239
  • 44
    Un autre exemple possible de Philon se trouve dans De ebrietate 1:144. Le contexte semble autoriser soit « nommé/destiné », soit « disposé ». Ce passage n'est donc pas décisif pour nous aider à trancher.