Comment résoudre un dilemme théologique ?


Quand j'enseigne ou que je parle de théologie, je dis souvent : « Sur de nombreux points, la Bible n'est pas aussi claire que nous le souhaiterions ».

1. L'une des principales différences entre les « fondamentalistes » et les autres (par exemple, les « modérés ») est la conviction que l'Écriture seule résout toute question théologique importante. Pour les fondamentalistes, il ne peut y avoir qu'une seule croyance « biblique » correcte sur chaque question importante de la vie et de la pensée chrétiennes. La Bible est considérée comme un livre de référence complet des doctrines révélées (et des règles éthiques). Ainsi, lorsque deux chrétiens sont en désaccord sur le sens que donne la Bible à une question doctrinale ou théologique, le fondamentaliste pense que l'un d'eux (ou les deux) doit nécessairement mal interpréter la Bible, voire la déshonorer. Le non-fondamentaliste, quant à lui, dira souvent que la Bible n'est pas complètement claire sur certaines questions importantes et que nous devons donc utiliser d'autres sources et normes si la question doit être réglée. (« Réglée » ici ne signifie pas nécessairement « imposée » à qui que ce soit, mais cela peut signifier qu'un pasteur, par exemple, doit décider de ce qu'il croit afin de le communiquer à une congrégation ou à un paroissien qui s'interroge).

2. Le problème de l'approche fondamentaliste est que les chrétiens qui craignent Dieu, aiment Jésus et croient en la Bible sont en désaccord depuis des siècles (parfois depuis les tout premiers chrétiens) sur le sens que donne la Bible à certaines questions importantes. De même, sur certaines questions importantes, les fondamentalistes eux-mêmes ne sont pas d'accord entre eux sur le sens biblique. (Bien sûr, dans ce cas, ils se divisent généralement et dénigrent les autres fondamentalistes en disant qu'ils ne sont pas vraiment fondamentalistes, mais quelque chose d'autre).

3. Un autre problème de l'approche fondamentaliste est qu'elle ignore ou néglige le fait que sur certaines questions importantes, la Bible semble parler de plusieurs « voix ». Sur certains de ces sujets, la plupart des chrétiens ont simplement accepté d'être en désaccord et de « passer à autre chose ». La Bible doit-elle toujours parler d'une seule « voix » ? Est-il possible que la Bible ne soit pas parfaitement claire dans certains cas ? Se pourrait-il que nous voulions et même que nous ayons besoin de réponses que la Bible ne nous donne pas clairement ?

4. Lorsqu'une question est pressante, les chrétiens modérés et non fondamentalistes adoptent souvent une approche pour résoudre le dilemme que la Bible ne résout pas en se tournant vers la tradition. Mais, bien sûr, la question se pose alors de savoir à qui appartient cette tradition. Et, comme tous les protestants l'admettent, même la « Grande Tradition » peut se tromper. La tradition a droit à un vote, mais jamais à un veto. Luther lui-même a abordé la question de la justification de cette manière. Il faisait appel à la « raison » et à la « conscience » plutôt qu'à la tradition pour interpréter la Bible.

5. En supposant que la question ne soit pas réglée par la Tradition (ou que la personne qui doit la régler pour elle-même ne soit pas d'accord avec la Tradition), que faire alors ? La raison est le troisième critère. Par « raison », j'entends la cohérence logique entre les doctrines et la cohérence des doctrines avec les « faits matériels » du monde. Commencez par vous demander : « Quel est l'impact de ce que je crois que la Bible dit clairement et/ou de ce que la Tradition dit sur ce dilemme ? » En d'autres termes, tournez-vous vers des croyances plus fondamentales et tracez une ligne de raison à partir d'elles vers ce qui doit être la bonne réponse dans le dilemme considéré. Par exemple : Si vous n'êtes pas sûr qu'une personne vraiment sauvée ne puisse jamais se détourner du salut et être éternellement perdue, et que vous ne pensez pas que l'Écriture règle la question, demandez-vous si vous êtes calviniste. Si vous êtes calviniste, la question est réglée. Il est logiquement impossible d'être un vrai calviniste et de croire à l'apostasie réelle (se détacher entièrement et pour toujours de la grâce salvatrice de Dieu). En effet, si vous êtes sauvé, c'est parce que vous êtes l'un des élus de Dieu et si vous êtes élu, Dieu vous a attiré à lui irrésistiblement. Si vous n'êtes pas calviniste et que vous trouvez que l'Écriture ne règle pas la question, demandez-vous quelles autres croyances peuvent vous guider vers la bonne réponse. Vous pourriez y être guidé par la croyance en la puissance de Dieu capable de garder, fondée sur son caractère et son omnipotence. Mais, vous pourriez aussi vous interroger sur le libre arbitre. Pourquoi une personne sauvée n'aurait-elle plus le libre arbitre pour rejeter la grâce ?

6. Si la raison ne parvient pas à résoudre le problème (par exemple, en se référant à des croyances plus fondamentales et à la logique), tournez-vous vers l'expérience. L'« expérience » ne signifie pas nécessairement votre propre expérience privée et subjective. Comme l'a dit Karl Barth, il peut s'agir d'un « nez de cire que n'importe quel coquin peut modeler comme il veut d'après son propre visage ». Quelle « expérience », alors ? Peut-être l'expérience collective du peuple de Dieu dans votre communauté de foi. Il faut ainsi parfois faire appel à son expérience personnelle lorsque l'Écriture, la tradition et la raison ne permettent pas de régler la question. Certains chrétiens, par exemple, sont convaincus que la question de la possibilité d'apostasie ou de la sécurité éternelle n'est pas réglée par l'Écriture, la Tradition ou la raison. Certains croient connaître des personnes qui ont été réellement sauvées et qui ont ensuite totalement déchu. D'autres, au contraire, peuvent « ressentir » une telle puissance de conservation de Dieu dans leur vie en dépit des tentations et de la « rétrogradation » qu'elles sont convaincues que Dieu ne permettra jamais à une personne sauvée de tomber définitivement.

7. Parfois, l'Écriture est si peu claire au sujet d'une question qui doit être tranchée (pour un individu ou un groupe) que la seule façon de se fixer sur une croyance à ce sujet est de déterminer laquelle des deux croyances, ou plus, admissibles par l'Écriture, la Tradition, la raison et l'expérience,  présente le moins de problèmes ou présente des problèmes avec lesquels vous pourriez mieux vivre que les autres. Par exemple, le calvinisme et l'arminianisme peuvent tous deux être soutenus par l'Écriture, la Tradition, la raison et l'expérience. Les débats sur la « prédestination » et le « libre arbitre » durent depuis des siècles et se terminent toujours par une impasse entre des chrétiens partageant la même foi en Dieu et en la Bible. Alors, comment trancher ? Pour de nombreuses personnes, la seule façon de trancher est d'adopter le point de vue qui pose le moins de problèmes ou avec les problèmes avec lesquels elles peuvent le mieux vivre.

8. Retournons à la problématique du fondamentalisme contre le non-fondamentalisme : Un fondamentaliste rejettera toute cette méthode de résolution des dilemmes théologiques et doctrinaux parce que celle-ci concède l'existence d'ambiguïtés dans la Bible, y compris sur certaines questions théologiques et doctrinales importantes, ce qui est impossible dans une perspective fondamentaliste. De nombreux non-fondamentalistes rejetteront également cette méthode pour une raison très différente : ils sont tellement à l'aise avec l'ambiguïté (et ont peut-être peur du fondamentalisme) qu'ils ne ressentent pas le besoin de régler les questions doctrinales et théologiques sur lesquelles la Bible n'est pas limpide. Les deux approches ont cependant des problèmes. L'approche fondamentaliste conduit à de nombreux schismes et divisions, sans parler de l'imposition d'opinions personnelles sur la Bible et de l'importance égale accordée à toutes les questions doctrinales et théologiques. L'approche opposée conduit à une spiritualité chaleureuse et floue, dépourvue de contenu cognitif, et laisse les esprits curieux sans réponse satisfaisante.

Pour finir voici une anecdote illustrative : Il y a quelques années, j'ai assisté à une réunion de théologiens dont le principal sujet de discussion était le calvinisme, l'arminianisme et le théisme ouvert. Des défenseurs de ces trois points de vue étaient présents. Deux théologiens calvinistes bien connus sont tombés en désaccord sur la question de savoir si la Bible règle le problème du calvinisme et de l'arminianisme : Les êtres humains ont-ils le libre arbitre, même s'ils bénéficient de la grâce prévenante, pour résister à la grâce accordée par Dieu pour leur salut ? Un philosophe-théologien calviniste britannique de premier plan a soutenu que non, au grand dam de son homologue américain. Le théologien britannique a soutenu que, puisque la Bible n'est pas aussi claire à ce sujet que nous le souhaiterions, nous devons nous tourner vers la théologie systématique et fonder le calvinisme sur la justification par la grâce seule, par la foi seule. Pour sa part, le calviniste américain a déclaré avec insistance qu'une doctrine aussi cruciale que la grâce irrésistible [ou efficace] devait être clairement enseignée dans l'Écriture et que c'était le cas.


Article original : OLSON, Roger E.. How to Solve a Theological Dilemma when Scripture Doesn’t Clearly Solve It: An Exercise in Theological Method. In : Roger E. Olson: My Evangelical, Arminian Theological Musings [en ligne]. Patheos, 2014-01-23 [consulté le 2020-05-31]. Disponible à l’adresse : https://www.patheos.com/blogs/rogereolson/2014/01/how-to-solve-a-theological-dilemma-when-scripture-doesnt-clearly-solve-it-an-exercise-in-theological-method/