Dieu avait-il de l'amour pour les Égyptiens ?

Plaies Egypte

Peinture : MARTIN, John. La Septième plaie. 1823.

Certains éléments presque fondamentaux de l'adaptation cinématographique traditionnelle sur Moïse sont improbables : par exemple, la plupart des pharaons ont eu des dizaines d'enfants, et il est donc très improbable que Moïse et le futur pharaon aient grandi ensemble comme des frères ou des rivaux intimes. (Il est vrai qu'une représentation plus précise sur ce point ne fonctionnerait pas aussi bien au cinéma). Néanmoins, chaque film sur Moïse apporte une contribution précieuse : par exemple, le Moïse de Ben Kingsley et de Dougray Scott illustre le doute de Moïse décrit dans les Écritures ; le dessin animé Le Prince d'Égypte, destiné aux enfants, est peut-être celui qui capte le mieux le cœur de Dieu.

Il va sans dire que le nouvel Exodus : Gods and Kings n'a pas d'équivalent en termes de grandeur et d'effets spéciaux. Néanmoins, les personnes ayant une bonne connaissance de la Bible ne seront pas insensibles à certains détails de l'intrigue du nouveau film. En ce qui concerne certains de ces détails, le récit biblique est plus cohérent que celui du film (et il aurait pu, dans ces cas, recevoir de meilleures critiques).

Quoi qu'il en soit, mon message n'a pas pour but de faire une critique du film. (Personnellement, bien que je n'aie ni le temps ni les moyens d'aller voir beaucoup de films, j'ai trouvé que ce nouveau film valait bien ce que j'ai payé pour le voir. Mais cela n'enlève rien à mon mécontentement concernant certaines questions théologiques essentielles). Je parle de ce film parce que sa représentation du Dieu des Hébreux est à la racine de la réflexion sur laquelle je m'exprime brièvement ici.

Dieu avait-il de l'amour pour les Égyptiens lorsqu'il les frappait de ses fléaux ? Dans le récit biblique au sens large, la réponse est évidemment oui. Le prophète Ésaïe prophétise ultérieurement des jugements sur l'Égypte (Es 19:1-17, 22) ; semblables aux jugements qu'il prophétise également contre Israël ; en conséquence, les Égyptiens se tourneront vers Dieu et feront partie du peuple de Dieu aux côtés d'Israël (Es 19.18-25). Dans la loi de Moïse, il est interdit aux Israélites de mépriser les Égyptiens, car les ancêtres d'Israël ont trouvé refuge en Égypte (Dt 23:7).

Dans le Pentateuque lui-même, sous le pharaon de l'époque de Joseph, Israël a bénéficié d'une grande hospitalité et l'Égypte a reçu de grandes bénédictions. Le récit de l'Exode suggère que les fléaux subis par l'Égypte à cette époque ont inversé les effets du type même de prospérité dont Dieu l'avait bénie à l'époque de Joseph. Si les fléaux ont frappé les Égyptiens, ce n'est pas parce qu'ils étaient Égyptiens ; Dieu a béni l'Égypte à différentes occasions. D'ailleurs, les anciens Égyptiens eux-mêmes reconnaissaient que la fertilité était une bénédiction des dieux, c'est simplement qu'ils recherchaient les mauvais dieux (voir plus loin).

Il n'est pas nécessaire de faire une digression dans le reste de la Bible pour comprendre pourquoi Dieu s'est montré si sévère envers l'Égypte dans le livre de l'Exode. Une génération plus tôt, dans le même livre, les Égyptiens ont noyé les bébés d'Israël dans le Nil. Les jugements de Dieu évoquent clairement cet événement, ne laissant aucun doute sur le fait que les plaies répondent à cette injustice. Pharaon a noyé des bébés dans le Nil ; la première plaie transforme donc le Nil en sang (avec nos excuses au film, aucun crocodile n'est spécifié). Pharaon a noyé des bébés dans le Nil ; la dernière plaie est donc la mort de certains enfants d'Égypte, y compris ceux de Pharaon. Pharaon a noyé des bébés dans le Nil ; Dieu noie donc l'armée de Pharaon dans la mer.

En outre, l'Égypte avait asservi et exploité Israël, et la prospérité actuelle de l'Égypte reposait en partie sur cette exploitation. Comme le dit Moïse dans le film pour enfants Le Prince d'Égypte, « Aucun empire ne devrait être construit sur le dos des esclaves ». (Remarquez le commerce des esclaves comme étant point culminant de la liste des pratiques de Babylone dans Ap 18:13 ; dans ce cas, Dieu prononce un jugement au moins partiel sur Rome, à une époque où l'Égypte était l'une des provinces les plus exploitées de Rome).

J'avoue que les récits des souffrances de l'Égypte me font toujours grimacer ; en tant que lecteur occidental des temps modernes, ou même en tant que lecteur chrétien sous l'angle du Nouveau Testament, je me sens mal pour les Égyptiens qui ont souffert à cause des choix de Pharaon. Il était beaucoup plus commode pour les auditeurs de l'ancien Israël et leurs contemporains de penser en termes collectifs qu'il ne l'est pour la plupart d'entre nous aujourd'hui. Cela dit, les Égyptiens dans leur ensemble partageaient la fausse idéologie qui sous-tendait la résistance de Pharaon : la plupart d'entre eux pensaient que leurs nombreux dieux, y compris Pharaon lui-même, étaient plus puissants que le dieu unique et pathétique des Hébreux asservis.

Compris dans ce contexte, les jugements de Dieu sur l'Égypte étaient le reflet visible d'une bataille spirituelle ; Dieu discréditait les faux dieux afin de détourner les gens d'objets d'adoration vides au profit de la vérité et de la vie. Lorsqu'il décrit l'objectif des fléaux, Dieu précise que ses fléaux sont au moins partiellement dirigés contre « les dieux de l'Égypte » (Ex 12:12 ; Nb 33:4).

Dieu se soucie non seulement de la confiance que lui accorde Israël, mais aussi de ce que tous les peuples pensent de lui. Dieu rapporte qu'il a suscité (ou épargné) ce Pharaon particulier dans son propre but : révéler la puissance de Dieu (à travers les fléaux) afin que le nom de Dieu soit prononcé « sur toute la terre » (Ex 9:16) - parmi tous les peuples. Pharaon est parfois décrit comme ayant endurci son cœur (Ex 8:15, 32 ; 9:34), et il ne peut donc pas se plaindre si, même après que l'activité divine soit devenue la plus visible, Dieu l'a livré à un nouvel endurcissement. Dieu a endurci le coeur de Pharaon, surtout pendant le temps de miséricorde, lorsque les jugements se sont adoucis (Ex 9:12 ; 10:20, 27 ; 11:10 ; 14:8). Dieu a endurci Pharaon pour pouvoir révéler sa puissance divine (Ex 7:3 ; 10:1 ; 14:17) et pour que les Égyptiens sachent qu'il est Dieu (Ex 14:4).

Si Dieu a endurci Pharaon, c'est pour qu'il puisse donner d'autres signes et convaincre davantage l'Égypte. Une simple libération aurait pu être obtenue par une réponse antérieure aux plaies, mais Dieu ne veut pas seulement la libération, mais aussi la reconnaissance de son identité. Une phrase remarquablement répétée tout au long des récits des fléaux souligne le but ultime de Dieu : « afin que les Égyptiens sachent que je suis l'Éternel » (Ex 7:5-17 ; 8:10-22 ; 9:14-29). Dieu accomplit ces signes spectaculaires également pour qu'Israël sache qu'il est Dieu (Ex 6:7 ; 10:2 ; cf. 16:12 ; Nb 16:28). Même les prêtres philistins comprendront plus tard ce principe en 1S 6:5-6 (cf. 1S 4:8).

Dans la perspective chrétienne, la plus grande bénédiction est de connaître le Dieu vivant et d'avoir ainsi la vie éternelle (Jn 17,3). Dieu seul peut combler nos besoins les plus profonds (Jr 2,13 ; Os 13,9 ; Jn 4,14). Dans cette optique, les afflictions qui attirent notre attention peuvent être pour notre bien (ou pour le bien des survivants des épreuves ; cf. Ps 119, 67, 71, 75) ; elles sont des invitations à chercher et à trouver le vrai Dieu.

Dieu aimait-il les Égyptiens ? Oui. Il cherchait à attirer l'attention de l'Égypte sur le seul vrai Dieu. À cette époque, Israël devenait le principal vecteur de la révélation de Dieu, malgré les nombreux échecs d'Israël tout au long de son histoire (notamment l'adoration du veau d'or peu après les plaies). Dieu avait prévenu que ceux qui maudissaient son peuple seraient maudits tout comme ceux qui le bénissaient seraient bénis (Gn 12,3 ; 27,29 ; Nb 24,10), un principe qu'un autre Pharaon avait appris dès Gn 12,17. Pourtant Dieu a toujours voulu que son œuvre en Israël devienne une bénédiction pour tous les peuples de la terre (Gn 12,3 ; 18,18 ; 22,18 ; 26,4 ; 28,14).

Les chrétiens croient que nous avons aujourd'hui une révélation plus complète de Dieu, offrant à tous les peuples l'accès à Dieu. Pour nous, le point culminant de l'histoire d'Israël est Jésus, la révélation la plus complète du dessein de Dieu. (Il n'est pas surprenant que l'Égypte ait été l'une des premières régions à se convertir massivement à la foi chrétienne au cours des premiers siècles du mouvement). En Jésus, Dieu démontre son amour pour le monde entier. Jésus a porté la malédiction pour apporter la bénédiction à quiconque le bénit, quel que soit le pays. Dieu n'a pas seulement aimé Israël, ni les Égyptiens, mais il a aimé le monde : il l'a prouvé en donnant son Fils pour nous tous (Jn 3,16 ; Rm 5,6).


Article original : KEENER, Craig. Did God love the Egyptians?. In : Bible Background [en ligne]. 2014-12-14 [consulté le 2022-07-29]. Disponible à l’adresse : https://craigkeener.com/did-god-love-the-egyptians/