Introduction : L'apostasie est-elle irrémédiable ?
Hébreux 6:4-8 est certainement l’un des passages bibliques les plus controversés. En effet, l'auteur des Hébreux semble enseigner qu'un chrétien qui s'éloigne de la foi (c'est-à-dire qui apostasie) ne peut plus jamais retrouver son salut (cette idée se fonde essentiellement sur le verset 6) :
« Quant à ceux qui ont été une fois éclairés, qui ont goûté le don céleste et sont devenus participants à l'Esprit Saint, qui ont goûté la bonne parole de Dieu et les puissances du siècle à venir, et qui sont tombés, il est impossible de les ramener à une nouvelle repentance. Car ils crucifient de nouveau, pour leur part, le Fils de Dieu et le déshonorent publiquement. En effet, lorsqu'une terre abreuvée de pluies fréquentes produit des plantes utiles à ceux pour qui elle est cultivée, elle a part à la bénédiction de Dieu. Mais si elle produit des épines et des chardons, elle est réprouvée, près d'être maudite, et finit par être brûlée. » (Hébreux 6:4-8).
Il s'agit là de l'un des nombreux passages du Nouveau Testament qui suggère que le salut d'une personne puisse être perdu. Dans cette présente étude, je ne vais pas faire l’apologie de cette possibilité de la perte du salut mais la présupposer (vous trouverez une apologie approfondie de cette position dans l’ouvrage de Robert Shank, Life in the Son1SHANK, Robert. Life in the Son: A Study in the Doctrine of Perseverance. 2e édition, Springfield, MO : Westcott Publishers, 1960, 1961.). Je vais donc uniquement me concentrer sur la question de savoir si ce passage enseigne ou non que le salut, une fois perdu, ne peut jamais être retrouvé. Cette question a un intérêt tout particulier pour les personnes ayant traversé une période d’abandon de leur foi, mais qui en sont venus à reconnaître leur rébellion et souhaitent désormais revenir à Christ. Un tel retour est-il possible ?
Compte tenu de ce que l'Écriture enseigne dans son ensemble, il serait quelque peu surprenant que le passage d’Hébreux enseigne que l'apostasie soit irrémédiable. La Bible insiste fortement sur la volonté qu’a Dieu d'étendre le salut à tous ceux qui le cherchent en Christ. Considérons, par exemple, la parabole du fils prodigue, dont l'un des points principaux concerne la patience immense de Dieu et sa disposition à accueillir dans sa maison le pécheur qui se repent. De même, certaines promesses issues du Sermon sur la Montagne soulignent cette volonté divine de répondre à ceux qui le cherchent :
« Demandez et l'on vous donnera, cherchez et vous trouverez, frappez et l'on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit, celui qui cherche trouve, et l'on ouvrira à celui qui frappe. » Mt 7:7-8. « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés ! » Mt 5:6.
De telles promesses suggèrent qu'il existe une possibilité de salut pour toute personne, même apostâte, du moment que cette-ci souhaite sincèrement s'approcher de Dieu. Comme nous le rappelle Jacques : « Approchez-vous de Dieu, et il s'approchera de vous » (Jacques 4:8).
Une possibilité d'harmonisation de ces promesses avec Hébreux 6:6 serait que les promesses mentionnées précédemment attestent que Dieu acceptera toute personne venant à lui dans une repentance sincère, tout en affirmant que ce principe ne concerne pas les apostats car, comme Hébreux 6:6 nous le fait comprendre, les apostats seraient tout simplement dans l’incapacité de revenir à Dieu dans la repentance. Parce qu'ils en sont incapables, ils ne le font jamais. Ainsi il n'y a pas de contradiction entre l'impossibilité de la reconversion supposée être enseignée dans Hébreux 6:6, et l’accueil que Dieu promet à chaque personne qui se repent qui est enseigné dans d’autres passages bibliques. Selon cette hypothèse, les apostats, une fois qu'ils ont apostasié, ne peuvent plus jamais « demander [...] chercher [...] frapper », ni avoir « faim et soif de justice » et ni « s'approcher de Dieu ». Par conséquent, les promesses mentionnées précédemment ne les concernent plus.
Cette solution se heurte toutefois à au moins deux points problématiques. Le premier est celui de l'expérience. Certes, il est impossible de savoir combien de personnes qui ont été à un moment donné de véritables croyants en sont venues à rejeter la foi pour ensuite y revenir. Cependant, nous avons, en nous, l’intime conviction que cette séquence d'événements se produit parfois.
Le second point problématique, plus important, concerne le fait que cette compréhension d’Hébreux 6:6 produit certaines incohérences bibliques. En effet, il semblerait que nous puissions trouver un certain nombre d'exemples bibliques de conversion, suivie d'apostasie, puis d’une reconversion ultérieure. Robert Shank évoque six cas de ce genre2SHANK. Life in the Son, chap. 19.. Je vais donc poursuivre mon analyse en examinant quelques-uns de ces cas et en développant si nécessaire les commentaires de Shank.
Considérons d'abord le cas des chrétiens de Galatie, dont certains, selon Paul, étaient « déchus de la grâce » et, pour le dire avec encore plus de force, étaient « séparés de Christ » (voir aussi Jn 15:2-6) parce qu'ils « [cherchaient] la justification dans la loi » (Ga 5:4). Cependant, comme le fait remarquer Shank, Paul « suppose que les galates égarés peuvent être restaurés et est donc prêt à “[éprouver] de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que Christ soit formé en [eux]” (Ga 4:19), tout comme il les avait déjà éprouvées antérieurement lors de leur conversion originelle à Christ (cf. 1Co 4:15) »3SHANK. Life in the Son, p. 313.. Le langage de Paul suggère fortement qu'il considérait les galates en question comme ayant été un jour en union avec le Christ, puis séparés de cette union avec le Christ, et maintenant face à la possibilité d'une nouvelle naissance spirituelle par laquelle leur union avec le Christ serait rétablie.
Un autre exemple similaire que mentionne Shank se trouve dans 1 Corinthiens 5:1-13. Paul exhorte l'église corinthienne à excommunier un de ses membres qui était coupable d'inceste et ne s’en repentait pas « afin que l'esprit [de cette personne] soit sauvé au jour du Seigneur Jésus. » (1Co 5:5). Il est évident que le but de l'excommunication dans cette situation était la restauration éventuelle de cet homme en vue du salut de son âme. Nous pouvons conclure à partir de 2Co 2:5-11 que ce but a été atteint (en admettant que les deux passages parlent du même homme). Bien entendu, cet exemple ne soutient la possibilité de l’apostasie et d’une reconversion ultérieure uniquement si nous croyons que l'homme en question était un vrai croyant initialement, et qu'il a réellement apostasié sa foi. Dans ce passage, il est plus facile d'établir le second point que le premier. Paul parle de la personne coupable comme « se nommant frère » (1Co 5:11) et comme un « méchant » (1Co 5:13), ce qui laisse suggérer que Paul ne le considérait pas comme un vrai frère au moment de la rédaction de la lettre (cf. les commentaires de Paul sur le statut des personnes immorales en 1Co 6:9-10). Cependant, cela ne nous dit pas si Paul croyait que l'homme était un vrai frère avant qu’il ait commis un péché d'inceste. Pourtant, il est clair que l'homme était actif dans la vie de l'église au point que Paul le considérait comme « l’un [d’eux] » (1Co 5:1) en parlant des membres de l'église, comme « au milieu d’eux » (1Co 5:2), comme une partie du « tout » que constituait l'église corinthienne (1Co 5:6), ou encore comme un membre de l'église « du dedans » (donc sous l'autorité spirituelle de l'église) par opposition à quelqu’un du « dehors » (1Co 5:12). Bien que nous ne puissions pas en avoir la certitude, de telles expressions donnent de la crédibilité à la possibilité que l'homme mentionné dans 1Co 5:1-13 fut à une époque antérieure, un véritable chrétien. Ainsi il fut chrétien, puis devint apostat et malgré cela Paul entretenait l'espoir d'une éventuelle restauration future en vue de son salut.
Un autre exemple mentionné par Shank4SHANK. Life in the Son, p. 314-315. démontrant probablement la possibilité d’une restauration après une apostasie se trouve dans l'avertissement de Paul à l'église corinthienne en 2 Corinthiens 12:21. Dans ce passage, « Paul a exprimé la crainte que, s'il retournait à Corinthe, il serait obligé de « pleurer » (« pentheo », terme utilisé dans les situations de deuil) car beaucoup de ceux qui péchaient de manière flagrante ne s'en repentaient pas »5SHANK. Life in the Son, p. 314-315.. Il est important de garder à l'esprit que Paul considérait la non-repentance de tels péchés volontaires (« impureté, inconduite sexuelle et autres débauches » 2Co 12:21) comme un signe explicite d'une attitude intérieure d'allégeance à la chair qui est incompatible avec la foi en Christ (comparer 2Co 12:21 à 1Co 6:9-10 et aussi à Ga 5:19-21). Toutes les preuves indiquent que Paul considérait ces membres non-repentants de l'église corinthienne comme spirituellement morts et en dehors de toute relation avec Christ. C’est par rapport à cette situation que Paul exhorte l’église de Corinthe dans 2Co 13:5 : « Examinez-vous vous-mêmes, pour savoir si vous êtes dans la foi ; éprouvez-vous vous-mêmes. Ne reconnaissez-vous pas que Jésus-Christ est en vous ? À moins peut-être que vous ne soyez désapprouvés. » Cependant, malgré leur situation difficile, Paul maintenait de l’espoir les concernant. Le contenu de son avertissement en 2Co 12:21 (voir aussi 2Co 13:7-10) affirme que la repentance et le retour au salut étaient encore possibles pour eux, s’ils se repentaient et retournaient ainsi à Christ.
Bien que, comme dans la situation de l'homme incestueux de 1Co 5:1-13, nous ne puissions être absolument certains que les personnes décrites dans 2 Corinthiens 12:21 comme pratiquant l'immoralité de manière explicite étaient de vrais croyants avant leur apostasie manifeste, le contexte des chapitres 11-13 de 2 Corinthiens le laisse fortement entendre. Dans 2Co 11:2, Paul dit que dans sa précédente mission pastorale chez les corinthiens, il les avait « fiancés à un seul époux [...] Christ ». La question qui se pose est donc de savoir s'il existerait une raison de considérer que « plusieurs de ceux qui ont péché précédemment et ne se sont pas repentis » de 2Co 12:21 ne fassent pas partie du groupe de ceux qui étaient « fiancés [... à] Christ » de 2Co 11:2. Je ne trouve aucune raison valable au sein du texte permettant de croire cela. Il n'y a aucun élément dans le passage 2Co 11:2-12:21 indiquant que Paul faisait des distinctions concernant un groupe de personnes ciblé. Il me semble que la lecture la plus naturelle tout au long de ce passage est que l’ensemble des personnes visées (tant celles qui sont encore dans la foi que celles mentionnées dans 2Co 12:21 comme étant dans un statut d’apostat) sont comprises dans le groupe initialement « fiancés [... à] Christ ». Si tel est bien le cas, le fait que Paul avait l'espoir d'une éventuelle restauration des apostats (Paul espérait l’établissement de cette situation avant son arrivée à Corinthe - cf. 2Co 13:1-10) laisse penser que l'apostasie n'est pas irrémédiable et qu’ainsi ceux qui se repentent et retournent à Christ retrouvent leur statut initial.
Shank traite encore d’autres passages suggérant la possibilité d'une restauration après l'apostasie, dont Romains 11:20-23, Jacques 5:19-20, et Apocalypse 3:14-22. Plutôt que de développer chacun de ces passages, je préfère poursuivre et conclure cette section en traitant un passage non abordé par Shank. Dans 1 Timothée 1:19-20, Paul parle d'Hyménée et d'Alexandre en tant qu’exemple de personnes ayant « [abandonné] la foi et une bonne conscience » et qui ont ainsi « fait naufrage en ce qui concerne la foi ». Le terme grec apotheo traduit par « abandonné » est un terme fort (cf. son usage en Romains 11:1-2) qui indique une « éjection forte et délibérée » 6LIFTIN, A. Duane. 1 Timothée. In : The Bible Knowledge Commentary. John F. Walvoord, Roy B. Zuck, [Eds.], Wheaton, IL : Victor Books, 1983-1985.. Ajouté à ce terme l’image d'un naufrage est une indication claire du fait qu'Hyménée et Alexandre avaient complètement abandonné leur foi en Christ. Poursuivant, Paul dit qu’il les a « livrés à Satan afin qu'ils apprennent à ne pas blasphémer » (1Ti 1:20). Cette expression rappelle celle de 1 Corinthiens 5:5, où Paul déclare que son intention, en ce qui concerne l'homme coupable d'inceste, est qu’il « soit livré à Satan pour la destruction de la chair, afin que l'esprit [de la personne] soit sauvé au jour du Seigneur Jésus ». Il est clair que la motivation de Paul dans ce passage était restaurative et non pas simplement pénale ou vindicative. Nous pouvons supposer sans prendre de risque que sa motivation était la même dans la situation concernant Hyménée et Alexandre dans 1 Timothée 1:20. Par conséquent, cela nous révèle que Paul ne considérait pas ces deux apostats comme étant hors de portée de la grâce restauratrice de Dieu. Paul avait l'espoir qu'à travers les souffrances que Satan leur infligerait en tant qu'instrument de discipline de Dieu, ils pourraient encore se repentir de leur blasphème et revenir à la foi en Christ.
Les exemples ci-dessus sont certainement suffisants pour nous mettre en garde à ne pas déduire trop rapidement du passage d’Hébreux 6:6 que l'apostasie serait irrémédiable. Mais alors, comment devrions-nous comprendre ce passage ? Dans la suite de cette étude, je voudrais proposer une interprétation d’Hébreux 6:6 qui repose avant tout sur le contexte dans lequel se trouve ce verset. Les observations que je vais vous présenter m'amènent à conclure qu’Hébreux 6:6 n'enseigne pas que l'apostasie est irrémédiable. Cette conclusion est non seulement conforme aux exemples de restauration post-apostasie mentionnés précédemment, mais aussi à l'expérience même de l'Église qui est amenée à observer que certains individus qui, à un moment donné, se sont éloignés de la foi, reviennent plus tard à une repentance et une foi authentique en Christ.
Analyse d’Hébreux 6:6 dans son contexte
Si nous voulons parvenir à une interprétation correcte d’Hébreux 6:6, il est impératif que nous examinions plus attentivement le contexte de ce verset. Hélas, c’est une démarche que de nombreux commentateurs ne font pas toujours. Dans le chapitre 5 de l’épitre aux Hébreux, l'auteur aborde le sujet du rôle de Jésus en tant que souverain sacrificateur. Puis, en Hé 5:11, il s'arrête et réprimande ses destinataires pour leur « [lenteur] à comprendre » qui l'empêche de pouvoir leur enseigner plus profondément ces vérités de la « de la parole de justice » (Hé 5:13). Ces vérités profondes qu'il qualifie de « nourriture solide », par opposition au « lait » ou aux « principes élémentaires des oracles de Dieu » (Hé 5:12) dont les destinataires de l’épître ont encore besoin.
Que recouvrent les « principes élémentaires » ? L'auteur énumère plusieurs exemples significatifs dans Hé 6:1-2. Le premier élément de la liste est la « repentance des œuvres mortes ». Il faut également noter que l'auteur pose la question concernant la nécessité de devoir réapprendre ces principes élémentaires. En Hé 5:12, il déclare à deux reprises que ses lecteurs ont « de nouveau (palin) besoin qu’on [leur] enseigne » (en grec : palin « encore ») les principes élémentaires (dont nous savons à travers Hé 6:1 qu’un des éléments majeurs est le principe de repentance). En Hé 6:1, il exhorte ses lecteurs à ne pas se contenter de « poser de nouveau (en grec : palin) le fondement [de la] repentance des œuvres mortes [...] » mais de « [tendre] vers la perfection » et donc de commencer à approfondir les enseignements (c'est-à-dire la « nourriture solide » mentionné dans Hé 5:12-14) du type de ceux qu'il a évoqués dans cette épître.
C'est dans ce contexte que l'auteur met en garde contre l'apostasie en Hé 6:4-6, en ajoutant qu'il est « impossible de [...] ramener [les apostats] à une nouvelle (grec : palin) repentance ». Nous pouvons désormais percevoir le schéma suivant :
- Hé 5:12 « vous avez de nouveau (palin) besoin qu'on vous enseigne les premiers principes élémentaires des oracles de Dieu »
- Hé 6:1 « sans poser de nouveau (palin) le fondement : repentance des œuvres mortes »
- Hé 6:6 « il est impossible de les ramener à une nouvelle (palin) repentance »
Il y a un parallèle manifeste entre la déclaration faite en Hé 6:6 et les déclarations précédentes (Hé 5:12 et Hé 6:1) concernant le besoin qu’avait les destinataires de l’épitre de reprendre les bases en se faisant à nouveau (en grec : palin) enseigner les principes élémentaires (le lait) de la repentance. La cohérence exige donc que nous interprétions la déclaration de l'auteur en Hé 6:6 concernant la nouvelle repentance dans une perspective de (ré)inculcation ou (ré)instruction de la repentance comme cela est le cas dans l’esprit des versets qui précèdent. Ainsi ce que l’auteur entend par « nouvelle repentance » se réfère à un renvoi ou une répétition de l'enseignement des principes fondamentaux de la foi, et plus particulièrement l'enseignement concernant la nécessité de la repentance, où la « repentance » peut être considérée comme une désignation de l’ensemble de la liste des « principes élémentaires » énumérés en Hé 6:1-2.
Que veut donc dire l’auteur de l’épitre aux Hébreux lorsqu'il dit qu'il est « impossible » (Hé 6:6) dans le cas des apostats de revenir à une réinstruction des fondements de la foi ? Gardez à l'esprit que tout au long de cette épître, l'auteur met en garde ses lecteurs contre le fait de devenir « endurcis » (Hé 4:7), « lents à comprendre » (Hé 5:11) ou « nonchalants » (Hé 6:12). De plus, rappelez-vous que le contexte dans lequel cette mise en garde particulière contre l'apostasie débute en Hé 5:11-12 où l’auteur manifeste sa préoccupation sur ce point précis (le fait que ses lecteurs commencent à s'émousser dans leur réceptivité à la vérité spirituelle et sont incapables d’être réceptif à la « nourriture solide »). Alors que l'auteur de l'épître aux Hébreux considérait que son lectorat ne s'était que partiellement émoussé dans sa sensibilité à la vérité spirituelle, il présente le cas des apostats dans Hé 6:6 comme un exemple et un avertissement de la direction auquel ce processus d’endurcissement peut mener. L'apostat est celui qui a suivi le processus d’endurcissement jusqu'à son terme. Par une désobéissance persistante (Hé 4:11), la réceptivité spirituelle de l'apostat à la vérité est devenue pratiquement nulle, avec pour conséquence que, tant qu'il persiste dans cet état de rébellion, il ne peut être enseigné avec succès (c'est-à-dire qu'il ne sera pas réceptif à l'enseignement) même en ce qui concerne les principes élémentaires de la foi (notamment la repentance). Ne parlons même pas de la réceptivité aux enseignement plus profond de la « nourriture solide » que l'auteur de l’épitre souhaitait transmettre à ses lecteurs.
Ce passage fait donc un parallèle entre l'apostat, qui est parvenu à un état d’endurcissement spirituel, le rendant actuellement dans l’incapacité (« impossible » pour lui) de recevoir ne serait-ce que les fondements de la foi, et le chrétien qui devient « lent à comprendre » qui, bien qu'il épouse toujours les fondements de la foi, est actuellement incapable (« impossible » pour lui) de comprendre ou d'accepter la « parole de justice » (Hé 5:13) ou la « nourriture solide ». L'auteur établit cette comparaison pour avertir ses lecteurs qu'ils doivent faire face à leur apathie croissante avant qu'elle n'atteigne le point extrême de l'apostasie (cf. Hébreux 3:12-4:1). Il s'agissait là d'un réel danger, car les lecteurs de cette épître n'avaient pas seulement stagné dans leur réceptivité spirituelle, mais avaient déjà commencé à se trouver dans un état croissant d'apathie, comme l'indique la déclaration de l'auteur selon laquelle ils « [sont] devenus (du grec gegonate, qui signifie « devenir ») lents à comprendre » (Hé 5:11) et en « sont venus (du grec gegonate) à avoir besoin de lait et non d'une nourriture solide » (Hé 5:12). L'utilisation de gegonate « sont (de)venus » dans ces deux cas suggère une évolution d’un état initial, dans lequel ils n’étaient pas lent à comprendre et n’avaient plus besoin de lait, vers l'état actuel, dans lequel ils sont lent à comprendre et ne peuvent ingérer que du lait. L'auteur de cette épître s'inquiétait à juste titre du fait que cette évolution, si elle n'était pas maîtrisée et arrêtée, pourrait les conduire à un endurcissement complet et finalement à une apostasie de la foi. C'est la raison même de son avertissement en Hé 6:4-6.
La question cruciale à laquelle tout cela nous conduit est la suivante : Si Hébreux 6:6 doit être compris de la manière dont je viens de l’exposer, cela signifie-t-il que l'apostasie est irrémédiable ? Pas du tout. L'incapacité actuelle des apostats à accepter l'enseignement des « principes élémentaires » ou du « lait » (Hé 5:12) ne les empêche pas de pouvoir retrouver cette capacité à l'avenir. De même l'incapacité actuelle des chrétiens « lent à comprendre » de recevoir de la « nourriture solide » (Hé 5:12-14) n’a pas vocation à les empêcher à ne pas pouvoir être réceptifs à cette « nourriture solide » de manière définitive. Dans chaque cas, il existe un type de nourriture spirituelle (« lait » d'une part, « nourriture solide » d'autre part) que le groupe en question (réels apostats d'une part, chrétiens apathiques d'autre part) est actuellement incapable de recevoir. Cependant, dans aucun de ces cas il n'y a une raison permettant de croire que l'incapacité actuelle soit aussi une incapacité permanente. Je ne veux pas dire, bien sûr, que les apostats peuvent se libérer seuls de la prison dans laquelle ils se sont mis. Tout comme dans le cas de ceux qui n'ont jamais cru en premier lieu, la grâce de Dieu est requise pour ramener l'apostat à Christ (Jean 6:44). Ce que je veux dire, c'est simplement que nous ne pouvons pas conclure d'après Hébreux 6:6 que Dieu n'est pas disposé à accorder une telle grâce à l'apostat. Ce qui est « impossible » aujourd'hui (dans le cas de l’apostat ou dans le cas du chrétien apathique) n’est pas nécessairement « impossible » à l'avenir. Si le bénéficiaire de la grâce de Dieu est prêt à y répondre et à permettre à Dieu d'ouvrir à nouveau sa sensibilité à la vérité spirituelle, cette impossibilité n’en sera plus une.
Cette interprétation est compatible avec deux détails que l'on trouve à la suite de la déclaration de l'auteur en Hé 6:6a affirmant qu’il est « impossible de [...] ramener [les apostats] à une nouvelle repentance ». Entre cette déclaration et la déclaration suivante affirmant que les apostats « crucifient de nouveau, pour leur part, le Fils de Dieu et le déshonorent publiquement », la plupart des traductions anglaises [NDT : et française] fournissent un connecteur logique du type « car » ou « puisque ». Cependant, il est important de noter qu'aucun mot de ce type n'apparaît dans le texte grec. Au contraire, la relation entre la première et deuxième déclaration dans Hé 6:6 doit être déduite de la syntaxe globale de la phrase et non pas d'un élément lexical. La syntaxe globale permettrait tout aussi naturellement l’usage de « tant que » (mentionné dans la version anglaise NASB et NIV comme une traduction alternative). En effet, le participe présent des deux verbes grecs anastaurountas « crucifier à nouveau » et paradeigmatidzontas « exposer publiquement » dans la deuxième clause de Hé 6:6 peut même favoriser l’usage de « tant que ». Ce résultat concorderait avec la conclusion à laquelle nous sommes parvenus ci-dessus, à montrer que l'apostasie n'est pas nécessairement irrémédiable. En d'autres termes, l'incapacité de l'apostat à recevoir l'enseignement des principes élémentaires de la foi est présente aussi longtemps (c'est-à-dire « tant que ») que l'apostat persiste dans son rejet délibéré de la foi dans le Fils de Dieu, par lequel il est actuellement en train de « crucifier à nouveau le Fils de Dieu et de le soumettre publiquement au déshonneur » [NDT : traduction française de la version anglaise NIV].
Un deuxième détail dans Hé 6:8 soutient la conclusion que l'apostasie n'est pas irrémédiable. À la fin de la métaphore de la terre cultivée, en Hé 6:7-8, qui compare l'apostat à une terre cultivée produisant « des épines et des chardons », l'auteur déclare qu'une telle terre improductive « est réprouvée, près d'être maudite, et finit par être brûlée ». Bien que la dernière partie « finit par être brûlée » pourrait sembler indiquer une fin irrévocable, la partie précédente selon laquelle elle est « près d'être maudite » (du grec kataras eggus, « malédiction proche ») ouvre une lueur d'espoir. En effet, cela sous-entend que ce jugement ultime n’est nécessaire que si l'apostat persiste dans son attitude actuelle de rébellion7SHANK, Life in the Son, p. 319..
Conclusion
Ces observations concordent parfaitement avec la conclusion à laquelle nous sommes parvenus précédemment, à savoir que l'apostasie n'est pas nécessairement irrémédiable. Cela ne signifie pas que l'apostat, tout comme une personne non régénérée, ne peut en aucun cas passer un « point de non-retour » dans lequel l'Esprit de Dieu n'accordera plus la grâce nécessaire pour l'attirer à Christ. De nombreuses personnes croient que le péché impardonnable du « blasphème contre l'Esprit » représente un tel point de non-retour (Matthieu 12:31-32). D'autre part, il existe d'autres descriptions possibles de points de non-retour au sein de l'Écriture indiquant des situations dans lesquelles Dieu cesse de lutter avec celui qui persiste dans l’endurcissement de son cœur8SHANK, Life in the Son, p. 310-311.. Cependant, je soutiens que le passage d'Hébreux 6:6, interprété dans son contexte, ne devrait pas être compris comme enseignant l’impossibilité d'une restauration après l'apostasie. Ainsi, bien que de nombreux apostats individuels puissent en effet persister dans leur rébellion jusqu'à un point de non-retour, il n'est pas vrai que l'apostasie représente systématiquement un tel point de non-retour pour ceux qui en font l'expérience.
Article original : HAMILTON, Robert. Does Hebrews 6:6 Teach that Apostasy is Without Remedy?. In : Society of Evangelical Arminians [en ligne]. 2013-04-01 [consulté le 2020-07-06]. Disponible à l’adresse : https://evangelicalarminians.org/robert-hamilton-does-hebrews-66-teach-that-apostasy-is-without-remedy/
Source des citations bibliques, sauf indication contraire : La Sainte Bible : nouvelle édition de Genève 1979. Genève : Société Biblique de Genève, 1979.