L'assurance du salut selon le calvinisme : quelles perspectives ?

L'assurance du salut était une préoccupation centrale et motivante de la Réforme protestante. Martin Luther chercha cette assurance dans le sacrement de pénitence, mais en vain. Il l'a finalement trouvée dans sa découverte de la justification par la grâce seule et par la foi seule. Néanmoins, ce souci d'assurance perdure chez les réformés (calvinistes). Pour prendre un exemple parmi tant d'autres, notez la présence de l'assurance dans la question et la réponse d'ouverture du Catéchisme de Heidelberg (1563) :

« Quelle est ton unique assurance dans la vie comme dans la mort? C’est que, dans la vie comme dans la mort, j’appartiens, corps et âme, non pas à moi-même, mais à Jésus-Christ, mon fidèle Sauveur. » (italique ajouté).

La plupart des croyants réformés (calvinistes) supposent que, puisque les arminiens pensent qu'il est possible de déchoir de la grâce et de perdre le salut, alors les arminiens ne doivent pas avoir le même degré de confort et d'assurance que les réformés. En fait, c'est le contraire qui se produit : les arminiens peuvent avoir une plus grande assurance de salut.

Dans sa propre vie et son ministère, Jacob Arminius (1559-1609) en a vu la raison. Au cours de ses quinze années de ministère à la Vieille Église d'Amsterdam, Arminius a été témoin de deux problèmes distincts en matière d'assurance - le désespoir et la sécurité - qu'il considérait tous deux comme les justes implications de la doctrine réformée de la prédestination.

1. Le désespoir

D'abord, il expliqua ce qu'il appelait le désespoir. (Il a utilisé le mot latin « desperatio », qui signifie désespoir.) Il s'est souvenu de plusieurs occurrences, lorsqu'il assistait des personnes sur leur lit de mort qui n'avaient aucune assurance de leur propre salut. Le problème était que, dans ces cas, il s'agissait de croyants exemplaires qui auraient dû avoir l'assurance de leur salut. Pourtant, à ce moment crucial où ils avaient le plus besoin de cette assurance, ils en manquaient.

Comment des chrétiens réformés, qui n'avaient pas été sauvés par leur propre bonté mais par la justice imputée en Christ, avaient-ils pu tomber dans le désespoir ? Comment en étaient-ils arrivés là ? Pourquoi le doute qui tourmentait l'Église romaine de la fin du Moyen Âge n'avait-t-il pas été résolu dans l'Église réformée ? Quand on parcourt les écrits d'Arminius, on peut voir que le désespoir est nettement le résultat de trois doctrines réformées.

Pour Arminius, le problème réside d'abord dans la conviction réformée selon laquelle la foi salvatrice comprend non seulement la connaissance et l'adhésion à cette foi, mais aussi la fiducia, ou l'assurance confiante. L'assurance (fiducia) était parfois utilisée comme synonyme de foi (fides). Selon cette hypothèse réformée, si une personne croit en Christ comme Sauveur et croit que la justice de Christ peut lui être imputée par la foi, et que la personne désire ce salut, mais qu’il lui manque la certitude de ce salut, alors la personne peut commencer à remettre en question complètement sa foi, et se demander si elle fait partie des élus. C'était le problème des deux chrétiens mourants à Amsterdam. Ils avaient pris leur manque d'assurance comme preuve d’un manque de foi. Arminius distinguait l'assurance (fiducia) de la foi (fides), déclarant que l'assurance est le résultat ordinaire de la foi salvatrice, mais n'est pas nécessairement simultanée avec la foi.

Les réformés reconnaissent que la foi peut être faible dans cette vie, et puisque l'assurance (fiducia) fait partie de la foi, il n'est donc pas surprenant que l'assurance puisse également être faible. Cette réponse apporte cependant peu de consolation en raison d'une seconde doctrine, la doctrine de la foi temporaire, telle qu'enseignée par Jean Calvin et d'autres théologiens réformés. Comment faire la différence entre la foi faible des élus et la foi temporaire des réprouvés ? Cela n'est pas vraiment possible. Calvin a affirmé qu'une personne pouvait sembler comme d’autres avoir la foi, et qu’elle pouvait même penser qu'elle possédait la foi salvatrice, alors qu'il ne s'agissait en réalité que d'une foi temporairement accordée par Dieu qui n'était pas destinée à perdurer, mais qui serait retirée par Dieu par la suite. Un exemple biblique courant est le cas de Simon le magicien (Actes 8), qui est décrit comme ayant cru, et pensait sincèrement qu'il était un vrai croyant, mais dont la croyance s'est rapidement avérée fausse (CALVIN, Institutes. 3.3.10). C'est-à-dire que Simon lui-même n'était pas au courant de son statut jusqu'à ce que sa foi échoue. Le réprouvé peut se tromper lui-même et, malgré toutes les apparences contraires actuelles, manquer de foi authentique. Si même le réprouvé peut avoir une foi temporaire qui ressemble à celle des élus tant extérieurement qu'intérieurement, alors peu importe à quel point sa foi et son assurance semblent faibles ou fortes à l'heure actuelle.

Bien sûr, la vraie foi peut parfois échouer. C'est lorsqu'elle est combinée avec une troisième doctrine, soit celle de la réprobation inconditionnelle, que cette atteinte à l'assurance peut être dévastatrice. La doctrine réformée de l'élection inconditionnelle affirme que Dieu choisit qui il veut sauver, et cela ni sur la base de ses bonnes œuvres, ni sur la base de sa foi ou même de son consentement volontaire. Le corollaire nécessaire à cette élection est que Dieu réprouve inconditionnellement, ou éventuellement « passe au-dessus », le reste de l'humanité, dont la fin est la condamnation. Le seul moyen d'échapper à la condamnation est d'être choisi par Dieu. Mais, comme l'observe Arminius, puisque cette élection est (en dehors de la volonté absolue et souveraine de Dieu) inconditionnelle, il n'y a rien que le réprouvé puisse faire pour être dans une relation de salut avec un Dieu qui ne l'a pas choisi. La prédestination réformée, dit Arminius, « produit chez les gens le double désespoir d'accomplir ce que leur devoir exige et d'obtenir ce vers quoi tendent leurs désirs » (ARMINIUS, Verklaring, p. 87).

C'est ce que j'appelle la doctrine de la « grâce indisponible ». Si vous pensez que vous pourriez être réprouvé, vous ne pouvez rien y faire, car l'élection est inconditionnelle. « Damné que vous fassiez une chose, damné que vous ne la fassiez pas ».

2. La sécurité

Le deuxième problème observé par Arminius est l'extrême opposé du premier. Il appelait cela le vice de la sécurité. (Arminius a utilisé le mot latin « securitas », qui signifie insouciance. Tout au long de l'histoire chrétienne, le mot sécurité incluait l'idée de négliger quelque chose qui mérite vraiment l'attention.) Il s'est souvenu à plusieurs reprises durant son ministère que, comme le devait un pasteur attentif, il dénonçait le péché dans la congrégation et même admonestait certains individus. Trop souvent, ces mêmes personnes répondaient comme si le péché n'était pas un problème. Après tout, selon l'interprétation réformée dominante de Romains 7, l'apôtre Paul lui-même avait été continuellement vaincu par le péché. Puisque les élus sont sauvés par grâce, après tout qu'est-ce qui est vraiment grave ?

Après un examen des écrits d'Arminius, il apparaît que cette tendance à la sécurité, comme l'autre problème du désespoir, est le résultat de la combinaison distinctive de trois enseignements réformés. Le premier concerne l'efficacité de la sanctification. Pour le réformé, bien que la personne régénérée doive et soit capable de faire des pas vers la sanctification avec l'aide du Saint-Esprit, ce sont néanmoins des pas de bébé ; les progrès sont minimes. L'interprétation réformée standard de Romains 7, lue comme le récit autobiographique de l'apôtre Paul régénéré, soutient l'idée que le péché est une lutte continue et importante dans la vie chrétienne. Avoir peu d'attentes de sanctification personnelle implique que le péché est en quelque sorte normal et, par conséquent, ne préoccupe pas gravement le chrétien pour lui-même. Pour sa part, Arminius a reconnu sans aucun doute que le progrès dans la sainteté est entravé par le péché et la faiblesse. Toutefois, il a également contesté la lecture réformée typique de Romains 7 et, comme les premiers pères de l'Église, il a interprété cette vision de la personne alourdie par le péché comme quelqu'un qui n'est pas régénéré, car le péché ne peut pas dominer la vie d'une personne régénérée comme cela est décrit dans ce passage. En ce qui concerne Romains 7, Arminius a écrit,

Car rien ne peut être imaginé de plus nocif pour une bonne morale que d'affirmer qu’il est normal pour des chrétiens régénérés de ne pas faire le bien qu'ils veulent, et de faire le mal qu'ils ne veulent pas. Car il s'ensuit donc nécessairement que ces personnes qui, tout en péchant se satisfont de leurs péchés, bien qu’elles sentent qu’elles le font avec une conscience réticente et avec une volonté qui oppose une certaine résistance (Cap. VII Rom., chap. 5, p. 2).

La deuxième doctrine réformée qui conduit à la sécurité est l'élection inconditionnelle, avec son corollaire de la grâce irrésistible. Si l'on est confiant dans son élection, alors la grâce est irrésistible et le salut est assuré.

L'élection inconditionnelle et la grâce irrésistible peuvent promouvoir la sécurité, surtout lorsqu'elles sont combinées avec une troisième doctrine, la persévérance des saints, qui est un corollaire prévisible de l'élection inconditionnelle. Si une personne fait partie du peuple élu de l'alliance de Dieu par la seule grâce irrésistible en dehors des bonnes œuvres, alors aucune quantité de mauvaises œuvres ou le manque de bonnes œuvres ne peut annuler cette élection et cette alliance. Selon Arminius, si l'on affirme l'impossibilité de l'apostasie, cette doctrine ne console pas autant qu'elle engendre l'insouciance à l'égard du péché, ce qui, pour Arminius, est un dangereux indice de « sécurité charnelle » (securitas carnalis). Arminius a écrit,

La croyance par laquelle tout croyant se persuade qu'il ne peut abandonner la foi, ou que, du moins, il n'abandonnera pas la foi, ne conduit pas tant à la consolation contre le désespoir ou le doute qui est le contraire de la foi et de l'espérance, comme il le fait pour engendrer la sécurité, ceci est directement opposé à la crainte la plus salutaire, laquelle nous commande de travailler à notre salut, et qui est extrêmement nécessaire dans ce lieu de tentations (Articuli nonnulli XXII. 4-5).

Par conséquent, la normalité du péché dans la vie chrétienne, ainsi que les doctrines de l'élection inconditionnelle et de la sécurité éternelle, pourraient favoriser une attitude de « Sauvé que vous fassiez une chose, sauvé que vous ne la fassiez pas ». Ce manque d'intérêt pour la présence du péché est la chose même qui pourrait précipiter une chute.

Pour les arminiens, il existe une voie médiane de véritable assurance entre les extrêmes du désespoir et de la sécurité. D'une part, le fait de savoir que le péché a des conséquences et qu'une personne peut tomber par une rébellion ouverte, protège contre une sécurité négligente. d'autre part, savoir que Dieu sauvera tous les croyants repentants protège contre le désespoir sans remède.

3. Le fondement du salut et de l'assurance : l'amour de Dieu

En fin de compte, l'assurance du salut est recherchée en examinant ce qui est le fondement même du salut : l'amour de Dieu. Cet amour de Dieu se manifeste dans sa promesse, qui est extérieure à la créature. Cette parole de Dieu fait connaître sa volonté ou son intention pour la créature. La question est : Si ce ne sont pas des œuvres méritoires, alors qu'est-ce qui détermine ou influence la volonté divine de sauver ? Autrement dit, que savons-nous de l'amour de Dieu ?

Les réformés sont plus réticents qu'Arminius à décrire l'affection de Dieu envers toute la race humaine comme étant de l'« amour ». Pour les adversaires d'Arminius, la volonté d'amour de Dieu ne s'étend pas à toute l'humanité dans le but du salut. Si Dieu n'aime pas tout le monde, alors l'assurance est ébranlée. Vous vous demandez à quel groupe vous appartenez : ceux que Dieu veut sauver ou ceux qu'il ne veut pas. Sa volonté concernant l'élection et la base de cette volonté sont impénétrables.

Pour les arminiens, le véritable fondement du salut et de l'assurance du salut est la promesse de Dieu qu'il aime tout le monde et qu'il sauvera les croyants pénitents. Ce fondement est lui-même basé sur et rendu possible uniquement par la personne et l'œuvre fondatrices du Christ. Et Dieu a envoyé Christ à cause de son amour (Jean 3:16).

Pour entrer dans le vif du sujet, nous pouvons comparer les réponses réformées et arminiennes à la question : « Comment savez-vous que vous êtes élu ? »

Revenons au Catéchisme réformé de Heidelberg, qui demande : « Quelle est ton unique assurance dans la vie comme dans la mort? » La réponse est que j'appartiens à Dieu. Mais la question appropriée que nous devrions poser aux réformés est la suivante : « Comment sait-tu que tu appartiens à Dieu ? Comment sais-tu que tu es élu ? »

Notez les réponses à cette même question données par les théologiens réformés. Robert Peterson et Michael Williams répondent à cette question : « C'est quand les gens se tournent vers Christ avec foi qu'ils savent que Dieu les a choisis pour le salut » (Why I Am Not an Arminian, p. 65). Michael Horton répond à cette question en faisant référence à Jean 10:27-28 : « Avez-vous entendu la voix [de Christ] et l'avez-vous suivi ? » Ensuite, il vous donne la vie éternelle. Nous trouvons l'élection « non pas en nous-mêmes mais en Christ » (For Calvinism, p. 73).

Mais une fois que vous reconnaissez qu'il existe une catégorie de personnes que Dieu ne veut vraiment pas sauver, des individus qu'il n'aime pas, [ou très différemment des élus], alors l'assurance est sapée. De plus, la reconnaissance du fait que la foi actuelle de quelqu'un peut simplement être une foi temporaire est le résultat d'une auto-tromperie [déterminée par Dieu].  Une foi qui ne durera pas sape également l'assurance. « Se tourner vers Christ dans la foi » et « découvrir l'élection en Christ » sont des expressions qui sonnent creux dans un système dans lequel Dieu ne veut pas que tous soient sauvés, et où il donne une foi temporaire à un réprouvé qu'il finira par lui retirer.

D'un autre côté, pour l'arminien, ces mêmes phrases, et tous les témoignages de salut, signifient en fait quelque chose. Il n'y a pas à se demander à quel groupe vous appartenez. Vous faites partie du groupe que Dieu aime et veut sauver. Quoi qu'il arrive dans la vie, je sais que Dieu m'aime. Quoi que je puisse croire ou douter, quel que soit le succès ou l'échec que je puisse connaître, quel que soit mes gains ou mes pertes, je sais quelque chose qu'un calviniste ne peut jamais savoir avec certitude, à savoir que Dieu veut que je sois sauvé et m'a créé à cette fin. C'est la base du salut et l'assurance du salut.

[En complément voir : L'assurance du salut dans l'arminianisme et le calvinisme]


Article original : STANGLIN, Keith. Calvinism and the Assurance of Salvation. In : Society of Evangelical Arminians. [en ligne], 2018-11-07. [consulté le 2022-02-02] Disponible à l’adresse : https://evangelicalarminians.org/keith-stanglin-calvinism-and-the-assurance-of-salvation/