Les proverbes et la providence divine

Au cœur de la théologie des Proverbes se trouve le principe selon lequel les bonnes ou les mauvaises actions engendrent une récompense ou une sanction appropriée de la part de Dieu.

Celui dont le cœur s’égare se rassasie de ses voies, Et l’homme de bien se rassasie de ce qui est en lui. (Pr 14:14)

Le juste est délivré de la détresse, Et le méchant prend sa place. (Pr 11:8)

Ainsi la justice conduit à la vie, Mais celui qui poursuit le mal trouve la mort. (Pr 11:19)

C'est-à-dire que le devenir des hommes est déterminé par leur propre comportement. La forme que prend la prédestination dans la théologie de la rétribution du livre des Proverbes, est donc l'auto-déterminisme de l'homme. Ce n'est pas Dieu qui décide si un homme sera compté parmi les justes ou les méchants, ce sont plutôt ses propres actions qui le déterminent. Ainsi, le livre des Proverbes contient non seulement des proverbes prédictifs, du type de ceux que j'ai cités, mais aussi des proverbes descriptifs sur ce qui constitue la méchanceté, la folie, la sagesse, la paresse, la prudence, la générosité, la tromperie. Les proverbes descriptifs permettent à l'homme de découvrir où il se situe et où sa position courante l'amènera.

La prédestination dans les Proverbes n'est pas en contradiction ou incompatible avec le concept de prédestination de la Genèse. L'accent est simplement différent. Le livre des Proverbes ne renie pas la promesse faite à Abraham et à sa postérité, mais il n'estime pas nécessaire de s'y référer. Selon les Proverbes, lorsqu'il s'agit de la manière dont un homme doit vivre sa vie, la prédestination divine n'est pas en cause. Dans ce cas, ce qui compte, c'est la manière dont un homme détermine son avenir propre. Il ne fait aucun doute que la prédestination divine est pertinente pour l'éthique de bien d'autres manières : un autre enseignant israélite [Paul] a, par exemple, exhorté ses auditeurs à « marcher d’une manière digne de la vocation qui vous a été adressée » (Ep 4:1). Cependant, le livre des Proverbes ne choisit pas cette voie. Bien sûr, l'Écriture n'est pas réduite aux seuls Proverbes, et ce serait une erreur de considérer la théologie de ce livre comme l'unique manière d'aborder la question de l'éthique. Toutefois, il s'agit d'une approche légitime, et en tant que telle, elle se retrouve confirmée dans le Nouveau Testament (voir Rm 2:6-10). Paul, que la plupart des gens considèrent comme le principal apôtre de la prédestination divine dans le Nouveau Testament, soutient parfois également cette ligne explicative.

Nous avons avancé un premier point concernant la prédestination dans les Proverbes : l'auto-prédestination humaine qui est au centre de l'enseignement de ce livre. La prédestination, dans la théologie des Proverbes, précise également la manière dont Dieu est lié à ce schéma d'action et de rétribution. En premier lieu, il est manifeste que Dieu est celui qui apporte la rétribution. Cependant, il faut noter que cette activité divine n'est pas souvent mentionnée explicitement dans les Proverbes (Pr 10:29 est le verset qui s'approche le plus de cette affirmation). Plus souvent le bien ou le mal semblent être engendrés automatiquement : « Chacun reçoit selon l’œuvre de ses mains » (Pr 12:14). Cela ne doit évidemment pas nous amener à douter qu'il s'agit de l'œuvre de Dieu.  L'accent n'est simplement pas mis sur cet aspect.

Deuxièmement, et plus important encore, le rapport de Dieu dans le devenir de l'homme, réside dans la création. En effet, c'est Dieu qui crée le chemin de vie, qui est la sagesse et appelle les hommes à suivre ce chemin. Si un homme est juste ou a de la sagesse, selon la terminologie des Proverbes, ce n'est pas parce qu'il est intrinsèquement bon. C'est parce qu'il s'est prêté à l'enseignement de la sagesse qui est un don de Dieu. « La folie est attachée au cœur de l’enfant ; La verge de la correction l’éloignera de lui » (Pr 22:15). Cette « discipline » ou « instruction » est en finalité celle du Seigneur (Pr 3:11), et la sagesse que l'enfant développe en mûrissant doit être considérée comme un « don » de Dieu (Pr 2:6). Ainsi, si la croissance en sagesse et en bonté est une question d'effort et de discipline, la conception même de cette sagesse est rapportée dans les Proverbes comme étant essentiellement une créature de Dieu (Pr 8:22-31). Cela rend donc impossible à l'homme juste de considérer sa sagesse comme sa propre réalisation. En un mot, l'homme prépare son propre devenir, mais si son devenir est la vie, il doit en remercier Dieu, et non lui-même. Par contre, si le devenir de l'homme est la destruction, il ne peut s'en prendre qu'à lui-même.

Maintenant que nous avons identifié l'emphase de l'enseignement des Proverbes au sujet de la prédestination, nous sommes mieux à même de comprendre le sens de certains versets semblant énoncer une prédestination divine stricte :

L'Éternel a tout fait pour un but, même le méchant pour le jour du malheur. (Pr 16:4)

Certains pourraient voir ici un prélude à la « double prédestination », mais il s'agit en réalité de l'enseignement habituel des Proverbes de la juste rétribution. Le mot hébreu traduit ici par « but » signifie également « réponse », c'est-à-dire « en accord avec le plan de Dieu ». Les méchants subissent le mal qu'ils ont comploté (Ps 49:5 ; Jr 17:18 ; Rm 9:21). Le péché et la souffrance se répondent l'un à l'autre et sont finalement indissolublement liés. La traduction de la TEV semble pertinente ici : « Tout ce que le Seigneur a créé a sa propre destiné, et la destinée des méchants, c'est la destruction. »

C'est-à-dire que le méchant avance sur la route appropriée à sa situation. Cependant, cela ne signifie pas que son destin serait fixé de manière irrévocable. Son iniquité peut être expiée (Pr 16:6), il n'est donc pas nécessaire qu'il reste méchant. De même, lorsque nous trouvons :

Le cœur du roi est un simple courant d'eau dans la main de l'Eternel: il l’oriente comme il le désire. (Pr 21:1)

Nous ne devrions pas penser qu'il s'agit d'une affirmation doctrinaire selon laquelle un roi ne prend jamais de décisions de son propre chef et ne serait qu'une marionnette dans les mains de Dieu. Cela serait contraire à la perspective générale des Proverbes bien que le proverbe pris isolément puisse sans doute avoir ce sens. Ce qui est enseigné ici, c'est plutôt que Dieu, le gouverneur du monde, ne peut être contrecarré, même par les rois, qui ont l'habitude de faire ce qu'ils veulent. Il s'agit d'une variation du thème de Proverbes 21:30 : Il n'y a ni sagesse, ni intelligence, ni conseil qui tienne contre l'Éternel.

Le cœur de l'homme peut méditer sa voie, mais c'est l'Eternel qui dirige ses pas. (Pr 16:9)

Les projets que forme le cœur dépendent de l'homme, mais la réponse que donne la bouche vient de l'Eternel. (Pr 16:1)

On prépare le cheval pour le jour du combat, mais c'est à l'Eternel qu'appartient la victoire. (Pr 21:31)

Notre équivalent en français est : « L'homme propose, Dieu dispose. » Quiconque croit que Dieu dirige le monde ne peut qu'en dire autant. Cependant, l'auteur ne voulait pas dire que Dieu met toujours de côté les plans humains ou que seules les décisions divines comptent.

Examinons ces versets plus en détail. Dans Proverbes 16:9, il y a bien le côté de Dieu et le côté humain, que nous retrouvons également dans Proverbes 3:5-6 : « Confie-toi en l'Éternel de tout ton cœur et ne t'appuie pas sur ton intelligence ! Reconnais-le dans toutes tes voies et il rendra tes sentiers droits. »  De même, Proverbes 16:1 encourage l'homme à faire confiance au Seigneur et au fait qu'il nous donnera au bon moment les mots appropriés. Quant à Proverbes 21:31 concernant le combat, l'homme peut se préparer avec des chevaux de guerre et des chars, mais la victoire vient du Seigneur.


Source : CLINES, David A.. Predestination in the Old Testament. In: PINNOCK, Clark H., WAGNER, John D.. Grace for All: The Arminian Dynamics of Salvation. Eugene, OR : Wipf & Stock Publishers, 2015, p. 131-133. Disponible à l'adresse : https://books.google.fr/books?id=bzT6CQAAQBAJ&pg=PT131