Histoire de l'église et calvinisme

Saint-Augustin


Peinture (détail) : PINTURICCHIO. Gonfalon de saint Augustin. 1497

De nombreux calvinistes prétendent représenter l'orthodoxie historique. Or, je crois précisément l'inverse. Dans cet article, j'ai l'intention de parcourir l'histoire du christianisme et de retracer, de manière très élémentaire et partielle, le développement des sujets qui constituent la trame du désaccord entre arminiens et calvinistes, afin de voir où se situent les deux systèmes sur l'orthodoxie historique. Par souci de transparence, je vais dès à présent exposer ma thèse :

Le calvinisme n'a jamais été LA compréhension centrale du salut au sein de l'Église.

Avant l’Église

Je suis vraiment navré d'inclure le paganisme dans mon exploration historique de ce conflit, mais il est récurrent de voir affirmé que le paganisme serait la source de l'arminianisme et, puisqu'il s'agit d'un courant antécédent à l'Eglise, il est utile de comprendre quels sont les thèmes qu'il aborde et qui pourraient avoir une incidence dans le débat théologique qui nous concerne.

Tout d'abord, le paganisme n'a jamais été une position philosophique systématique. Le paganisme classique, sous toutes ses formes, à l'exception peut-être des philosophes grecs, était un mélange de mythes et de légendes locaux représentant les interactions politiques et historiques d'une région tout autant que la vision du monde de celle-ci. Il est important de saisir cela.

Deuxièmement, lorsque nous parlons du paganisme en termes d'influence possible sur la pensée chrétienne, nous parlons du paganisme grec, en particulier de son apogée avec Aristote et Platon.

Troisièmement, en lien avec les sujets abordés dans le débat entre calvinistes et arminiens, nous pouvons définir le paganisme grec, avant les philosophes grecs, comme un déterminisme incohérent. En effet, les premiers païens grecs croyaient en des êtres connus sous le nom de « Moires », [ou « Parques » chez les romains], qui déterminaient la vie et la mort de tous les êtres à travers le tissage et la découpe de fils. Les Grecs croyaient fermement à la notion de destin et de fatalité, et au fait que nous ne contrôlons pas ce qui nous arrive. Même les dieux étaient à la merci du destin. Néanmoins, il était possible de tenter et de persuader une Moire, c'est pourquoi je qualifierais les païens d'incohérents. Un bon exemple de ce déterminisme grec peut être perçu dans l'histoire d'Œdipe (ESCHYLE. Laïus et Œdipe).

Les philosophes grecs, en revanche, étaient des déterministes cohérents. Ils considéraient qu'il existait une divinité singulière qui animait et façonnait toutes les choses, et au sein de laquelle toutes les choses trouvaient leur source. Cette divinité était parfaitement logique et motivée principalement, voire entièrement, par des concepts tels que le plus grand bien, le maintien d'un contrôle absolu et l'exercice de la justice. Cette divinité était, selon eux, purement impassible, car l'émotion dénote le changement, et le changement dénote un mouvement vers ou contre la perfection. Le changement est impossible puisque cette divinité doit être initialement et continuellement parfaite. Il est très important de noter que la notion de libre arbitre libertarien est apparue tardivement dans la philosophie grecque, Platon et Aristote, ainsi que la plupart des écoles, s'en tenaient à des idées plus proche du compatibilisme. Cependant, le libertarianisme s'est développé avant la maturation de la théologie chrétienne, on pourrait dire en même temps que le début du christianisme.

Il est également important de noter que les juifs modernes adhèrent à la notion de libre arbitre. Les Juifs anciens quant à eux étaient divisés à ce sujet. Selon Josèphe (JOSEPHE. Antiq. XVIII, i. 3 ; cf. Antiq. XIII, v. 9 ; War II. viii, 14), les Pharisiens et les Sadducéens défendaient une certaine notion de libre arbitre, tandis que les Esséniens étaient plutôt déterministes. [...]

Avant Augustin

Avant Augustin et Pélage, vous ne trouverez pas de présentation systématique, ni même de développement minutieux, des thèmes du libre arbitre et du déterminisme. Cependant, parmi tous les premiers pères de l'Église, vous trouverez de nombreux ouvrages polémiques (qui sont des ouvrages qui s'opposent à une position) contre le paganisme et le gnosticisme qui mentionnent le déterminisme comme un problème de ces deux positions. D'autre part, vous ne trouverez pas d'ouvrages d'apologies (qui défendent une position) en faveur du déterminisme, ni quoi que ce soit d'autres qui expose une vision déterministe du monde.

Voici une liste de quelques citations :

  • Justin Martyr (vers 160) écrit : « Que d’ailleurs, si nous parlons de prescience et de prédiction, on se garde bien de conclure que nous croyons à la fatalité et au destin. Non, et en voici la preuve. [...] Et si le genre humain n’avait pas le pouvoir de choisir par un acte de sa libre volonté le sentier de la vertu ou le chemin du vice, il n’aurait pas à répondre de ses actions. » (Première apologie. Art. 43).
  • Tatien (vers 160) écrit : « Nous ne sommes pas nés pour mourir, nous mourons par notre faute. C’est notre libre arbitre qui nous a perdus; nous étions libres, nous sommes devenus esclaves: c’est pour notre péché que nous avons été vendus. Nul mal n’est l’œuvre de Dieu; c’est nous qui avons produit le mal moral, et nous qui l’avons produit, nous pouvons y renoncer. » (Discours aux grecs. Art. 11).
  • Irénée (vers 180) écrit : « L'homme, au contraire, est raisonnable et, par là, semblable à Dieu ; créé libre et maître de ses actes, il est pour lui-même cause qu'il devient tantôt froment et tantôt paille. » (Traité Contre les Hérésies. Vol. 4, partie 1, chap. 1).
  • Clément d'Alexandrie (vers 195) écrit : « Il accorde le saint éternel à ceux qui travaillent concurremment avec lui à l'édifice de la connaissance et des bonnes œuvres. Oui, la promesse divine ne se réalise que par l'action de l'homme, puisque l'accomplissement des obligations imposées par le précepte est laissé en notre pouvoir » (Stromates. Chap. 7).

[Voir à ce sujet : Les pères de l'église sur la prédestination et le libre arbitre]

Pélage, Augustin et le concile d'Orange

Au début du Ve siècle, un moine britannique du nom de Pélage insistait sur la nécessité pour les chrétiens de reconnaître leur responsabilité à l'égard de la loi biblique. À peu près à la même époque, un évêque africain de la ville d'Hippone, Augustin, s'était fait un nom dans le monde théologique. Augustin ressentait le besoin de souligner la grandeur de l'œuvre de Dieu dans le domaine de la rédemption et le besoin absolu de l'homme de bénéficier de l'action divine.

Ils en vinrent à confronter leurs idées et à développer deux systèmes théologiques très différents. Pélage prétendait que le concept de responsabilité humaine nécessitait l'idée que le salut était le résultat de la piété de l'homme (une idée plutôt païenne) et que le libre arbitre de l'homme était la source de sa piété (une idée plutôt non païenne). Augustin, quant à lui, avait mis en avant la doctrine du péché originel et avait affirmé que les êtres humains étaient incapables de faire le bien dès leur naissance en raison du premier péché d'Adam qui a complètement infecté sa descendance. Par conséquent, tous ceux qui sont sauvés le sont uniquement parce que Dieu initie et achève une œuvre salvatrice en eux. Ceux qui sont sauvés ont été choisis individuellement par Dieu pour être sauvés avant la création du monde.

Il est très important de noter trois choses à propos de ces deux positions. Premièrement, aucune des deux positions n'a été adoptée auparavant par l'Église, ce qui implique que l'on ne peut pas ramener toutes les positions sur ces questions à ces deux seules positions (comme beaucoup essaient de le faire).

Deuxièmement, les arminiens ne sont pas des pélagiens (loin s'en faut) et les calvinistes ne sont pas des augustiniens (bien qu'ils s'en inspirent fortement). Bien que les arminiens croient au libre arbitre libertarien, nous soutenons que Dieu initie le processus du salut et nous sommes d'accord avec Augustin sur la notion de péché originel (dans les grandes lignes) et de la dépravation totale. Par ailleurs, Augustin lui-même n'a pas rejeté catégoriquement le libre arbitre et n'était pas un pur déterministe. Bien qu'il ait introduit le concept d'élection inconditionnelle dans l'Église, il ne croyait pas exactement à la persévérance des saints et estimait que l'on persévérait dans la foi par sa dévotion aux sacrements de l'Église. En d'autres termes, il croyait que l'on était inconditionnellement élu à l'Église, mais que c'était par l'Église que l'on trouvait la grâce qui permettait de persévérer dans la foi. Ce qui ne correspond assurément pas au calvinisme.

Troisièmement, l'Église ne fut jamais en plein accord avec l'un ou l'autre des deux camps. Pélage a été déclaré hérétique au concile d'Éphèse, et bien que les convictions d'Augustin n'aient pas été condamnées, elles n'ont pas non plus été approuvées sans réserve. En effet, le débat s'est poursuivi après sa mort et deux nouveaux systèmes sont apparus : Le semi-pélagianisme et le semi-augustinisme.

Le semi-pélagianisme soutenait que, bien que l'on soit sauvé par la piété, on ne pouvait obtenir le niveau de piété nécessaire sans l'intervention divine. Les hommes doivent toutefois prendre l'initiative de cette intervention par le biais de la prière. Le semi-augustinisme soutenait que, bien que l'homme soit né dans un état de dépravation totale à cause du péché originel, Dieu cherche la rédemption de tous et agit donc en tous pour les amener à la foi. Cependant, tous les humains doivent répondre à cette grâce par leur libre arbitre afin que la foi atteigne son plein accomplissement. En 529, un concile tenu à Orange a examiné ces deux systèmes de croyance. Il a condamné le semi-pélagianisme et a pleinement approuvé le semi-augustinisme comme orthodoxie officielle.

L'arminianisme, bien que distinct de l'un ou l'autre de ces points de vue, a autant en commun avec le semi-augustinisme que le calvinisme avec l'augustinisme. Il est intéressant de noter que de nombreux calvinistes qualifient l'arminianisme de « semi-pélagien « , mais ceux qui le font ignorent souvent que le semi-pélagianisme est un système de croyance à part entière, et qu'il est totalement différent de l'arminianisme (de même qu'ils ne connaissent souvent pas le système du semi-augustinisme. En effet, il me semble qu'ils entendent par « semi-pélagianisme « tout ce qui est en deçà du calvinisme déterministe).

[Voir à ce sujet : Le semi-augustinisme, position du second concile d'Orange]

Le synode de Dordrecht

Jacob Arminius était un théologien et un rhétoricien brillant qui s'est révélé une génération après Calvin. Il n'a pas créé l'arminianisme, mais en est simplement devenu la figure emblématique de par son éloquence. Comme je l'ai dit précédemment, de nombreux théologiens réformés adoptaient une position semi-augustinienne, Arminius était simplement devenu leur porte-parole.

Tout au long de sa carrière, Arminius a fréquemment demandé la tenue d'un concile pour régler cette question : un lieu où les deux opinions pourraient être présentées et comparées de manière équitable. Néanmoins, celui-ci n'a jamais eu lieu. Il mourut avant qu'un concile ne soit convoqué. Ses partisans ont fini par rédiger un document intitulé la Remontrance dans le but d'exposer précisément leur position. Ce document était un appel à l'Église dans son ensemble pour qu'un concile les protège des pouvoirs politiques des Pays-Bas. Ce groupe fut plus tard appelé les « Remontrants « en référence à ce document.

Après la mort d'Arminius, un concile (plus exactement un synode, puisqu'il était purement local) fut convoqué à Dordrecht. Ce synode n'a pas été convoqué pour examiner la question, mais pour condamner l'arminianisme en raison du danger politique qu'il représentait. Quelques ministres venus de l'extérieur des Pays-Bas ont été convoqués (dont certains étaient convaincus par l'arminianisme), mais pour l'essentiel, le synode était composé de ministres hollandais venus protéger le prestige politique de Genève. Dordrecht était un tribunal fantoche.

Il est également important de noter que l'influence politique de ce synode a été relativement éphémère. Une génération plus tard, les remontrants furent de nouveau les bienvenus aux Pays-Bas.

[Voir à ce sujet : L'émergence de l'arminianisme dans son contexte historique]

Après Dordrecht

Depuis Dordrecht, la question reste plutôt controversée. De nombreux mouvements théologiques associés aux deux positions pourraient être évoqués : les baptistes particuliers et généraux, les puritains, Wesley et le méthodisme, Edwards, les grands réveils, Finney (qui n'appartenait à aucun des deux camps mais a considérablement influencé le débat), le pentecôtisme et, bien sûr, la récente résurgence calviniste.

Cependant, avec la décentralisation constante de l'autorité théologique depuis la Réforme, il est impossible de prétendre que l'un ou l'autre camp pourrait être défini comme LA position théologique centrale du protestantisme ou de l'évangélisme. Certains mouvements étaient davantage calvinistes (comme le premier grand réveil), tandis que d'autres étaient davantage arminiens (comme le deuxième grand réveil).

[Voir à ce sujet : Comment une personne est-elle sauvée ? Parcours des principales vues sur le salut au regard des perspectives wesleyennes.]

Résumé

Pour en revenir à ma thèse initiale : Le calvinisme n'a jamais été LA conception centrale du salut au sein de l'Église.

Nous l'avons vu :

  • Les païens et grecs avant l'Eglise étaient déterministes et ne croyaient pas au libre arbitre.
  • Les juifs d'avant l'Eglise avait une préférence pour le libre arbitre.
  • Les premiers pères de l'Église s'opposaient au déterminisme.
  • Dans le débat Augustin/Pélage, les représentants antécédents de l'arminianisme et du calvinisme (le semi-augustinisme et l'augustinisme) ont été acceptés comme faisant partie de l'orthodoxie.
  • Si les débuts de la Réforme étaient indubitablement augustiniens, les protestants de cette époque n'ont jamais rejeté catégoriquement le semi-augustinisme et n'ont jamais mis l'accent sur cette question.
  • Les croyances de tendance arminienne (semi-augustinienne) ont commencé à se développer au sein de la première génération de protestants, Arminius était simplement le plus éloquent des théologiens de cette tendance.
  • Dordrecht était uniquement un synode local, motivé autant par la politique que par la théologie, et ne peut donc pas être considéré comme un juste représentant de l'orthodoxie protestante.
  • Depuis l'épisode Remontrants/Dordrecht, il y a eu de nombreux mouvements et personnes remarquables adhérant aussi bien au calvinisme qu'à l'arminianisme.

Quelle est donc la position de l'histoire sur cette question ? Je dirais que l'histoire plaide en faveur de l'arminianisme plutôt que du calvinisme. Le semi-augustinisme était généralement privilégié à l'augustinisme, et les pensées arminiennes se sont rapidement développées dans les cercles protestants. La seule revendication historique du calvinisme était que les débuts de la Réforme penchaient dans cette direction. Il y a eut aussi un certain prestige de Genève au sein de l'Église réformée primitive. Toutefois cela n'a pas duré longtemps et, depuis lors, l'histoire s'est montrée plutôt inconstante.

 


Article original : FREAK, J. C.. Why I Am An Arminian Part III: History. In : Society of Evangelical Arminians [en ligne]. 2013-12-17 [consulté le 2023-07-19]. Disponible à l’adresse : https://evangelicalarminians.org/why-i-am-an-arminianpart-iii-history/