La résurgence du calvinisme

Mur de la réforme

En 2009, le magazine Time classa le « nouveau calvinisme » dans les « dix idées en train de changer le monde »1VAN BIEMA, David. 10 Ideas Changing the World Right now. In : Time. [en ligne], 2009-03-12. Disponible à l'adresse : https://content.time.com/time/specials/packages/article/0,28804,1884779_1884782_1884760,00.html. Cette résurgence a été documentée et popularisée dans le livre de Collin Hansen paru en 2008, Young, Restless, Reformed : A Journalist's Journey with the New Calvinists. Ce mouvement a certainement changé le visage de l'évangélisme dans son ensemble. Il suffit de prendre l'exemple de la plus grande dénomination protestante des Etats-Unis, la Southern Baptist Convention (SBC).

En 1993, lorsqu'Al Mohler devint président du séminaire de la SBC à Louisville, il fit le ménage dans le corps enseignant en écartant tous ceux qui ne partageaient pas une interprétation stricte de l'inerrance biblique et qui résistaient à son calvinisme à cinq points. Au cours des années qui suivirent, le Southern Seminary a recruté un corps professoral favorable au calvinisme. Sachant que le Southern Seminary est aujourd’hui le plus grand séminaire de la SBC, vous pouvez imaginer comment ses diplômés ont fini par changer le caractère de cette dénomination et de manière plus générale de l'évangélisme.

Les baptistes peuvent revendiquer quelques racines calvinistes. Mais la résurgence du nouveau calvinisme a même infiltré des groupes qui n'ont jamais été réformés dans leur tradition. Ce phénomène peut être particulièrement observé dans les dénominations dont les articles de foi n'excluent pas les interprétations calvinistes de manière explicite.

Prenez, par exemple, la plus grande dénomination pentecôtiste du monde, les Assemblées de Dieu. Bien que celle-ci émane du méthodisme wesleyen et qui est donc arminienne dans sa tradition concernant la doctrine du salut, leur « Déclaration des vérités fondamentales » n'exclut pas le calvinisme2N.D.L.R. :. En fonction des pays, la déclaration de foi des Assemblées de Dieu peut être complétée par des articles de positionnement sur des sujets spécifiques. A ce jour, ce n'est pas le cas en France par exemple. Aux États-Unis, par contre, un article exclut la sotériologie calviniste : GENERAL COUNCIL OF THE ASSEMBLIES OF GOD. The Assurance of Salvation : Position paper. [L'assurance du salut : Déclaration officielle de position des Assemblées de Dieu]. In : Assemblies of God [en ligne], 2017. Disponible à l'adresse : https://arminianisme-evangelique.fr/wp-content/uploads/Lassurance-du-salut.-2017.pdf. Ainsi, lorsque ces églises et leurs responsables sont influencés par le calvinisme jusqu'à l'envisager comme une possibilité théologique, ils constatent qu'il n'est pas incompatible avec leur déclaration de foi et, en un rien de temps, sa présence se développe. L'influence calviniste est encore plus facile dans les Églises qui n'ont pas de confession ou de déclaration de foi, comme les Églises du Christ !

Pourquoi le calvinisme est-il attrayant ?

On me demande souvent pourquoi le calvinisme attirerait des personnes qui ont été jusqu'ici dans des églises non réformées. Qu'est-ce que les gens, en particulier ceux qui sont déjà chrétiens, trouvent dans le calvinisme ? Comme le dit Collin Hansen (dans le préambule de son livre), les gens voient dans le nouveau calvinisme un zèle pour la sainteté et une passion pour la mission. Pourtant, ces éléments ne sont pas propres au calvinisme.

En particulier, pourquoi est-il attrayant [...] pour les évangéliques ordinaires ? Pourquoi les chrétiens se laissent-ils convaincre par le calvinisme ? Ceux qui me posent ces questions sont généralement, comme moi, des personnes qui n'ont jamais été personnellement attirées par les doctrines distinctives de la théologie réformée. Bien que je n'aie jamais ressenti cette attirance personnelle, je me sens qualifié pour avancer quelques réponses. Après tout, au fil des années, j'ai évoqué ce sujet avec de nombreux calvinistes « convertis ». J'ai également passé quatre ans de mon doctorat en résidence au Calvin Theological Seminary (et j'en suis fier). J'ai de nombreux amis calvinistes dont certains font partis de mes amis les plus proches.

1) Profondeur intellectuelle

L'évangélisme populaire peut être caractérisé comme étant large d'un kilomètre mais profond d'un centimètre seulement. Combien de jeunes dans ces églises ont été découragés et repoussés lorsqu'ils ont posé des questions théologiques et philosophiques difficiles ? Le calvinisme, en revanche, encourage un certain niveau de profondeur théologique. Sans doute parce que les paradoxes du calvinisme sont difficiles à soutenir d'une manière simpliste. Le calvinisme, et c'est tout à son honneur, n'évite donc pas les questions théologiques difficiles et persistantes.

2) Tradition

La pensée réformée a une histoire considérable qui, comparée à celle des autres églises américaines, semble ancienne et fiable. Les credo et les confessions de foi donnent forme à cette tradition, tout comme le nombre impressionnant de penseurs talentueux et profonds, de Jean Calvin à Cornelis Elleboogius, de Jonathan Edwards à Abraham Kuyper [...], pour n'en citer que quelques-uns. Cette façon de penser et de vivre est plus grande que le simple moi et moment présent.

En conséquence de la conjonction des points précédents 1) et 2), le calvinisme profite, sans le vouloir, de l'ignorance des chrétiens concernant les positions alternatives historiquement et théologiquement fiables. Parce que de nombreux évangéliques n'ont pas été encouragés à réfléchir en profondeur dans leur propre contexte ecclésial, ou peut-être ont-ils été découragés de le faire, ils s'accrochent à la première option chrétienne qui encourage la réflexion théologique. D'autre part, parce qu'ils n'ont aucune connaissance de l'histoire de l’Église, une tradition de 500 ans [avec Calvin], ou même de 1500 ans [avec Augustin], leur semble bien plus ancienne et fiable surtout en comparaison à une tradition de 200 ans ou à aucune tradition. Ils s'accrochent ainsi à la première chose qui leur donne ce sentiment bénéfique que peut apporter une tradition forte.

Ces deux premières raisons correspondent généralement aux causes de l'exode de nombreuses personnes vers les églises catholiques romaines et orthodoxes orientales. Mais pour les personnes qui se soucient encore de la Réforme, la théologie réformée est la destination privilégiée.

3) Biblique 

Les théologiens et prédicateurs réformés ont un grand respect pour l'Écriture. Leur appel à l'Écriture pour toutes questions doctrinales est attirant pour toute personne ayant un respect tout aussi élevé envers l'Écriture. Ils présentent également quelques passages qui, lus à travers une lentille réformée, semblent soutenir la théologie réformée. En effet, si les calvinistes n'avaient pas de textes qui semblent soutenir leur point de vue, il n'y aurait probablement pas de calvinistes. Pourtant, cela ne signifie pas que leur point de vue est juste, comme nous le rappelle si bien 2 Pierre 3:16.

4) Centré sur Dieu

Les calvinistes insistent sur le fait que leur théologie est authentiquement théocentrique, et non pas centrée sur l'homme ou anthropocentrique. James I. Packer oppose le calvinisme et l'arminianisme de la manière suivante :

L'un [le calvinisme] proclame un Dieu qui sauve ; l'autre [l'arminianisme] parle d'un Dieu qui rend l'homme capable de se sauver lui-même.[...] Les deux théologies conçoivent donc le plan du salut en des termes très différents. L'une fait dépendre le salut de l'œuvre de Dieu, l'autre de l'œuvre de l'homme. L'une considère la foi comme faisant partie du don du salut de Dieu, l'autre comme la contribution personnelle de l'homme pour son salut. L'une donne toute la gloire du salut des croyants à Dieu, l'autre partage les louanges entre Dieu, qui a, pour ainsi dire, conçu la mécanique du salut, et l'homme, qui, en croyant, l'a actionnée3PACKER, James I.. Saved by His Precious Blood : An Introduction to John Owen's The Death of Death in the Death of Christ. In : A Quest for Godliness: The Puritan Vision of the Christian Life. Wheaton, IL : Crossway, 1990, p. 128-129. Disponible à l'adresse : https://corepastor.files.wordpress.com/2012/10/j-i-packers-introductory-essay1.pdf.

Eh bien, ainsi perçu l'un de ces systèmes semble plutôt bon, et l'autre plutôt horrible. Pour l'instant, je m'abstiendrai de corriger les inexactitudes et les préjugés flagrants d'une telle représentation. Je vais me contenter, ici, de donner un exemple de ce que de nombreux auteurs réformés affirment. Ce centrage sur Dieu est manifeste dans la manière dont un de mes amis l'a exprimé simplement : Pourquoi une personne accepte-t-elle l'Évangile et une autre non ? Y a-t-il quelque chose de meilleur chez l'une que chez l'autre ? Si oui, alors cette personne est sauvée par sa propre bonté. Si non, alors c'est que la décision appartient à Dieu seul. (Soit dit en passant, ce sont également certaines des questions qui motivaient Calvin).

[Voir à ce propos : L'arminianisme est une théologie centrée sur Dieu]

5) Réconfortant car Dieu est au contrôle

Lorsque le monde et nos propres vies semblent être chaotiques et hors de contrôle, il est réconfortant de croire qu'absolument rien ne résiste à la volonté et au plan de Dieu. Chaque détail fait partie d'un plan plus grand.

[Voir à ce propos : La providence de Dieu selon l'arminianisme]

Que pouvons-nous apprendre de la théologie réformée (et sur quels aspects devrions être vigilants) ?

En septembre 2016, j'ai pris la parole lors des conférences de l'université Harding sur le thème du calvinisme. Plus précisément, on m'a demandé de présenter une « Critique du nouveau calvinisme ». Bien que j'aie apprécié les bons sentiments se trouvant derrière cette demande, j'étais mal à l'aise avec le fait que le titre soit ouvertement négatif. Bien sûr, il y a un temps légitime pour la critique. D'ailleurs le texte que vous lisez est une critique. Néanmoins [...] les communautés généralement non réformées peuvent apprendre beaucoup de choses positives venant de la tradition réformée. De plus, ce qui m'intéresse au bout du compte, c'est de construire des ponts avec d'autres croyants, et non d'ériger des barrières.

Il y a bien des choses à apprécier dans le calvinisme, et en particulier chez beaucoup de calvinistes que je connais personnellement. Je ne voulais pas (et ne veux toujours pas) que ce principe soit négligé. J'ai donc fait une contre-proposition en proposant comme titre « Un regard sur le nouveau calvinisme ». Je ne sais comment, mais cela s'est transformé en « Un examen du nouveau calvinisme », ce qui m'a convenu.

[...] Dans la suite de ce billet, je vais évoquer spécifiquement ce que nous pouvons apprendre de certains des traits distinctifs réformés qui n'ont pas souvent été dans notre champ de vision. Pour cela, je vais revenir sur plusieurs des points qui rendent le calvinisme attrayant pour certains de nos contemporains. Si le calvinisme est effectivement une sur-réaction, alors réfléchissons à trouver une juste réaction. [...]

1) Une plus grande vision de Dieu et de sa gloire face à un papa-gâteau céleste

Ce que nous pouvons apprendre, c'est que Dieu n'est pas qu'un simple grand bonhomme qui se trouve au début de la ligne du temps, ni notre copain dans le ciel qui est là pour exaucer nos prières concernant notre santé et notre richesse. Dieu est un être absolument transcendant, saint et totalement différent de nous, d'une pleine beauté et vérité. La théologie réformée offre à l'évangélisme américain populaire une vision de la majesté de Dieu. Toutefois, prenons garde à la surréaction : contrairement à la vision de la théologie réformée, Dieu est également un être qui nous aime et qui nous a tous créés afin de vivre en communion éternelle avec Lui.

2) Une souveraineté divine face à un déisme pratique

Ce que nous pouvons apprendre, c'est que Dieu n'est pas un observateur passif, ni un horloger ayant mis en place les rouages de la création pour laisser l'histoire se dérouler, en nous laissant plus ou moins livrés à nous-mêmes. Au contraire, Dieu connaît la fin dès le début et accomplit toutes choses pour le bien de ceux qui l'aiment. C'est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être. Toutefois, attention à la surréaction : contrairement à la vision de la théologie réformée, la souveraineté n'implique pas que notre salut serait déterminé sans égard à notre volonté, et elle ne devrait certainement pas impliquer, comme peut le laisser entendre certains néo-calvinistes, que Dieu serait la cause [...] efficace du mal.

[Voir à ce propos : Distinction cruciale entre la souveraineté et l'omnipotence de Dieu]

3) Une grâce divine et une dépendance humaine face à une capacité humaine et une autonomie individuelle

Ce que nous pouvons apprendre, c'est que le salut ne consiste pas à ce que Dieu jette une balle dans notre camp pour nous laisser seuls maîtres ensuite. Par exemple, une tendance dans les Églises du Christ fut de mettre l'accent sur [...] « les cinq étapes du salut » (dans sa version populaire, « entendre, croire, se repentir, confesser, être baptisé »). Qui est à l'œuvre ? Qui est le sujet actif de ces cinq verbes ? L'homme pécheur. Le seul verbe passif est le dernier, et nous imaginons normalement que l'agent principal en est un autre être humain. Bien entendu, ces cinq étapes n'ont été conçues que comme un moyen mnémotechnique pratique et un résumé des conversions illustrées dans le livre des Actes.

Une partie de moi-même a du mal à croire que certaines Églises du Christ au siècle dernier (ou même encore aujourd'hui) n'auraient jamais parlé de la grâce ou ne l'auraient jamais présentée. Néanmoins, je n'ai pas de mal à croire que, dans la mesure où ces étapes en sont venues à représenter l'étendue du processus de conversion, elles peuvent finir par omettre Dieu lui-même du processus. Pourtant, c'est Dieu qui initie et achève le salut et qui doit recevoir toute la gloire du salut. C'est Dieu qui précède et insuffle chacune des étapes. Toutefois, prenons garde à la surréaction : contrairement à la vision de théologie réformée, notre personne a une influence dans le processus de conversion. La grâce ne supplante pas la liberté humaine.

[Voir à ce propos : Le processus du salut par grâce]

4) Une profondeur théologique face à une superficialité simpliste

Ce que nous pouvons apprendre, c'est que les réponses simplistes aux questions complexes ne sont d'aucune utilité. De même, l'ignorance n'est pas une vertu chrétienne. Au contraire, il nous est commandé d'aimer Dieu de toute notre pensée et d'ajouter à notre foi la vraie connaissance. Attention, ici-encore : la théologie doit être fondée sur l'ensemble de l'Écriture. De ce fait, la volonté de Dieu pour la création, par exemple, n'est pas un mystère.

5) Une reconnaissance de l'histoire de l'Église et de la tradition chrétienne face à un biblicisme anhistorique 

Nous pouvons apprendre qu'il n'y a pas que ma Bible et moi dans la vie chrétienne. Dieu nous a placés dans une communauté conduite par l'Esprit, et cette communauté ne comprend pas seulement ceux qui sont en vie actuellement. Néanmoins attention : l'histoire de l'Église, cette nuée de témoins, ne se limite pas à Augustin, Luther et Calvin.

[Voir à ce propos : Le semi-augustinisme, position du second concile d'orange]


Article original : STANGLIN, Keith. The Resurgence of Calvinism. In : Society of Evangelical Arminians. [en ligne], 2018-11-26. [consulté le 2022-02-02] Disponible à l’adresse : https://evangelicalarminians.org/keith-stanglin-the-resurgence-of-calvinism/

Références