Pourquoi les échanges arminiens-calvinistes sont rarement productifs ?

1. Dieu a-t-il pré-déterminé la chute ?

[...] Un problème que j'ai constaté chez de nombreux jeunes du mouvement « Young, Restless, Reformed », et même chez certains de leurs mentors bien informés, est qu'ils ne gardent pas à l'esprit leur doctrine de la providence lorsqu'ils parlent de la prédestination.

À moins d'être interrompus, et poussés à rapprocher ces notions, ils déconnectent souvent les deux. Ils s'expriment alors de la manière suivante : « Adam et Ève ont chuté par leur propre volonté. Tous leurs descendants méritent l'enfer à cause de leur iniquité héritée et de leur état de pécheur. Dieu, par amour et pour sa gloire, choisit miséricordieusement et gracieusement pour le salut certains des déchus qui méritent l'enfer ». Pourtant cela soulève immédiatement une question : « Dieu a-t-il prévu et rendu certain la chute d'Adam et d'Ève, ainsi que toutes ses conséquences, y compris l'iniquité et la rébellion de leurs descendants ? ».

2. Pourquoi Dieu a-t-il pré-déterminé la chute ?

Il est rare que j'arrive aussi loin dans une conversation avec des calvinistes. Cependant, lorsque j'y arrive, et qu'ils acceptent de répondre, ils se divisent et vont dans deux directions. Premièrement, certains diront : « Tout cela relève du domaine du mystère. Nous ne savons pas exactement pourquoi ni comment la chute s'est produite. Tout ce que nous savons, c'est que Dieu l'a permise pour de bonnes raisons qui dépassent notre compréhension et qu'il l'a utilisée pour démontrer son amour et sa justice ».

3. Pourquoi l’élection inconditionnelle ?

Face à cette réponse, la conversation doit alors se tourner vers la raison pour laquelle Dieu élit certains des descendants déchus d'Adam et Eve pour les sauver et laisse les autres souffrir en enfer éternellement. En effet, puisque l'élection est inconditionnelle et la grâce irrésistible, Dieu pourrait sauver tout le monde. La plupart de ces calvinistes affirmeront quelque chose comme « Tout ce que Dieu fait est bon simplement parce que Dieu le fait ». Ah ! Voilà que le nominalisme/volontarisme est utilisé comme « échappatoire » pour éviter de devoir expliquer comment la bonté de Dieu est compatible avec un décret aussi horrible. Deuxièmement, certains diront : « Dieu a conçu, prédestiné et rendu certaine la chute d'Adam et d'Ève et toutes ses conséquences, mais il ne les a pas contraints, eux ou quiconque, à pécher. Il leur a permis, tout comme à nous, de pécher par leur propre nature ».

4. Les hommes peuvent-t-il agir différemment ?

La question qui suit naturellement cette réponse est « Auraient-ils pu faire autrement ? ». Ces calvinistes (plus cohérents) répondent généralement « non ». L'explication qui s'ensuit est quelque chose comme : « Dieu a permis à Adam et Eve et à leurs descendants de pécher et l'a rendu certain en retenant la grâce spéciale dont ils auraient eu besoin pour ne pas pécher ». (Cette réponse se trouve dans les écrits ultérieurs d'Augustin, ainsi que dans L'Institution de Calvin et dans les écrits de Jonathan Edwards).

De nombreux calvinistes refusent cependant d'aller jusque-là. En effet, ils ne peuvent répondre à la question de savoir ce qui a fait qu'Adam et Ève ont péché et toute l'humanité avec eux, étant donné que Dieu aurait pu l'empêcher et qu'ils n'avaient pas de libre arbitre libertarien. En effet, la providence de Dieu (comme l'expliquent tous les écrits et enseignements calvinistes) englobe tout. Elle est, selon le calvinisme, exhaustive, méticuleuse et rend certain tout ce qui arrive. En d'autres termes, la doctrine calviniste orthodoxe et classique de la providence contredit toute échappatoire qui permettrait de rendre Dieu non responsable de la chute.

Revenons à mon point principal que certains lecteurs ont peut-être oublié : Les calvinistes doivent se rappeler leur doctrine de la providence divine lorsqu'ils parlent de la prédestination. Trop souvent, très souvent, selon mon expérience, ils dissocient les deux sujets lorsqu'on leur demande d'expliquer la chute. Soudain, la chute devient contingente, alors que cela est incompatible avec la doctrine calviniste de la providence1N.D.L.R. : certains calvinistes affirment que les actions humaines sont contingentes, mais en donnant une définition particulière de ce terme qui n'implique aucunement que l'homme peut, par lui-même, faire autrement. Voir : https://arminianisme-evangelique.fr/etude-sur-le-determinisme-theologique-dans-le-calvinisme/#32-certains-evenements-sont-contingents.

Lorsque les calvinistes parlent de la rébellion et de la chute d'Adam et Ève, ils font trop souvent appel à deux éléments auxquels ils ne sont normalement pas autorisés à faire appel étant donné leur doctrine de la providence : le libre arbitre libertarien et la permission de Dieu. Par « permission de Dieu », ils entendent « permission efficace », c'est-à-dire que Dieu a conçu et prédestiné et rendu certain la chute et toutes ses conséquences, en retirant la grâce dont Adam et Eve avaient besoin pour ne pas tomber. La plupart d'entre nous considéreraient qu'il ne s'agit pas vraiment d'une « permission » mais d'une « causalité », même s'il s'agit d'un type de causalité indirecte.

5. Qui est l'auteur ultime du péché, du mal et de l'enfer ?

La question critique à laquelle les calvinistes doivent alors répondre est la suivante : « Qui est l'auteur ultime du péché, du mal et de l'enfer ? ». Ils ont communément envie de dire « l'humanité » ou « Satan et l'humanité ». Toutefois, ce que je soutiens, c'est que leur doctrine de la souveraineté, plus particulièrement celle de la providence de Dieu, implique que cette réponse n'est pas cohérente si l'on prête attention au mot « ultime ». Dans ce système théologique, en combinant et en maintenant liés la providence et la prédestination, il n'y a pas d'échappatoire permettant d'éviter de dire que Dieu est l'auteur ultime du péché, du mal et de l'enfer. Jonathan Edwards a été à deux doigts de l'admettre2comme je le montre dans mon livre Against Calvinism. et n'a pu s'en sortir qu'en disant que Dieu n'a pas provoqué la chute d'Adam et Ève mais a seulement rendu leur chute certaine. Néanmoins, cela fait de Dieu l'auteur du péché et du mal dans tout le sens commun de ces mots. [N.D.L.R. : en particulier si l'on comprend que, dans ce système, Dieu a également déterminé comment Adam et Ève agiront sans la grâce que Dieu leur a retirée.]

Conclusion

Ce que je soupçonne est que de nombreux chrétiens de la mouvance « Young, Restless, Reformed » n'ont tout simplement pas réfléchi au calvinisme avec suffisamment de profondeur pour détecter ces problèmes et devoir s'y confronter. On leur apprend à se concentrer uniquement sur la grâce et la miséricorde de Dieu envers les élus et à ignorer la question du rôle de Dieu dans le péché et le mal. Ou bien on leur apprend à échapper au problème en faisant appel au mystère ou à la formule de tendance nominaliste-volontariste « Tout ce que Dieu fait est bon simplement parce que Dieu le fait ».

Quel est le problème ? Cela rend Dieu indigne de confiance. Nous ne pouvons plus savoir si Dieu tiendra ses promesses, car un Dieu sans un caractère éternel, immuable, régissant sa volonté, pourrait changer d'avis à tout moment et décider, par exemple, que le salut est par les œuvres plutôt que par la foi. Il est impossible d'échapper à une telle possibilité une fois que l'on tombe dans le nominalisme-volontarisme. Combien de jeunes chrétiens calvinistes ont été confrontés à ces questions et ont dû lutter avec elles ? Combien ont connaissance de l'alternative d'un véritable arminianisme classique (qui n'est pas un semi-pélagianisme) qui est une option viable pour la doctrine du salut ? D'après mon expérience, très peu, presque aucun. [...]

[Pour en savoir plus : Étude sur le déterminisme théologique dans le calvinisme]


Article original : OLSON, Roger E. Why My Conversations with Calvinists are Rarely Productive. In : Roger E. Olson: My Evangelical, Arminian Theological Musings [en ligne]. Patheos, 2018-02-09 [consulté le 2022-09-09]. Disponible à l’adresse : https://www.patheos.com/blogs/rogereolson/2018/02/conversations-calvinists-rarely-productive/

Références