L'une des raisons pour lesquelles j'ai commencé un blog était de promouvoir l'arminianisme classique. Une deuxième raison était d'exposer les raisons pour lesquelles je ne suis pas calviniste. Cela a eu lieu durant l'apogée du soi-disant mouvement « Young, Restless, Reformed », au sein duquel de nombreux jeunes calvinistes évangéliques et leurs mentors spirituels plus âgés déformaient l'arminianisme et promouvaient une version du calvinisme que même de nombreux théologiens réformés classiques trouvaient troublante.
J'ai eu de nombreuses discussions (qui étaient parfois plus des débats que des discussions) avec des calvinistes. Une question m'a toujours travaillé : Pourquoi nous, qui avons le même Sauveur Jésus-Christ et la même Écriture, la Bible, arrivons-nous à des conclusions aussi radicalement différentes sur certaines questions théologiques très importantes ?
La prédestination calviniste
Habituellement, lorsque j'enseigne le calvinisme, soit j'invite un calviniste engagé et bien informé dans ma classe, soit je montre à mes étudiants des clips vidéo de calvinistes évangéliques de premier plan, comme John Piper.
J'ai récemment montré à une de mes classes un clip vidéo de Piper. La question, à laquelle il répondait, était (en paraphrasant) : En quoi cela apporte-t-il de la gloire à Dieu de prédestiner des gens à l'enfer ? Il s'agit, bien entendu, de l'un des domaines de désaccord les plus aigus entre les chrétiens calvinistes classiques et cohérents tels que Piper et les chrétiens non calvinistes, principalement arminiens.
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Ce qui est intéressant pour moi (et pour certains de mes étudiants), c'est la façon dont Piper commence en affirmant avec prudence que la Bible n'utilise presque jamais, voire jamais, le langage de « prédestiner les gens à l'enfer ». Néanmoins, il est convaincu qu'il s'agit d'une idée biblique, à condition que l'on apporte quelques précisions essentielles.
Piper explique ensuite que toutes les personnes que Dieu prédestine à l'enfer méritent l'enfer et qu'elles y vont et y restent en se trouvant dans un état de rébellion contre Dieu. Il affirme sans équivoque que les personnes en enfer ne pourront jamais démontrer une quelconque injustice dans leur situation. Encore une fois, selon lui, tous ceux qui vont en enfer le méritent.
Piper poursuit en expliquant comment l'enfer révèle l'attribut de justice de Dieu à travers sa colère, et comment le but ultime de Dieu en créant le monde était de manifester tous ses attributs de manière égale. En outre, et pour finir, du moins dans ce très bref clip vidéo, Piper déclare que l'existence de l'enfer sert de toile de fond obscure permettant aux élus (ceux que Dieu choisit de sauver) d'être plus conscients de la miséricorde et de la grâce imméritées de Dieu à leur égard.
Bien sûr, il existe des calvinistes s'opposant à certains éléments de la réponse de Piper. J'ai rencontré de nombreuses personnes qui se disent calvinistes et qui ne veulent tout simplement pas parler de « double prédestination » ou de Dieu prédestinant quelqu'un à l'enfer ou de Dieu se glorifiant de l'enfer. Néanmoins, ces derniers croient que l'élection au salut est inconditionnelle et que la grâce salvatrice est irrésistible. Dans ces conditions, ces calvinistes ne peuvent pas expliquer, à mon avis, pourquoi Dieu « permet » à certaines personnes d'aller en enfer alors qu'il pourrait les sauver toutes.
(En passant, je dois dire que je pense que même Piper est à la limite de contredire sa propre théologie quand il dit dans ce clip vidéo que Dieu permet à ces personnes d'aller en enfer. Toutefois, il se rattrape rapidement et finit par dire « conçoit » que ceux qui vont en enfer y vont. Ma question est la suivante : Qu'en est-il vraiment ? Dieu se contente-t-il de « permettre » aux réprouvés d'aller en enfer ou y vont-ils parce que Dieu « conçoit » que leur fin sera l'enfer ? Je suppose que Piper répondrait « les deux », mais je pense que c'est une manière équivoque de s'exprimer et qu'il est possible d'être plus clair. Il ferait mieux d'abandonner complètement le langage de la permission divine pour être vraiment cohérent avec son affirmation que Dieu « conçoit, ordonne et gouverne » tout sans exception. Cela doit inclure l'enfer et ceux qui s'y trouvent.)
Questions sur la prédestination calviniste
Chaque fois que j'écoute ou que je lis un calviniste parler de la prédestination, en particulier de la double prédestination1qui est, d'après Sproul finalement la seule prédestination à laquelle les calvinistes croient (ce sur quoi je suis d'accord), je garde à l'esprit la doctrine calviniste de la souveraineté de Dieu sur toutes choses. J'ai particulièrement à l'esprit la doctrine calviniste de la providence de Dieu qui est globale, méticuleuse et exhaustive. Lorsque j'ai demandé à des calvinistes, que je respecte pour leur audace et leur cohérence, « La chute d'Adam et Ève et toutes ses conséquences ont-elles été prédestinées et rendues certaines par Dieu selon un plan infaillible qu'il a conçu ? », ils finissent par répondre (parfois avec un peu d'insistance) « oui ».
1. Dieu a t-il pré-déterminé la chute ?
Un problème que j'ai constaté chez de nombreux jeunes du mouvement « Young, Restless, Reformed », et même chez certains de leurs mentors bien informés, est qu'ils ne gardent pas à l'esprit leur doctrine de la providence lorsqu'ils parlent de la prédestination. À moins d'être interrompus, et poussés à rapprocher ces notions, ils déconnectent souvent les deux. Ils s'expriment alors de la manière suivante : « Adam et Ève ont chuté par leur propre volonté. Tous leurs descendants méritent l'enfer à cause de leur iniquité héritée et de leur état de pécheur. Dieu, par amour et pour sa gloire, choisit miséricordieusement et gracieusement pour le salut certains des déchus qui méritent l'enfer ». Mais cela soulève immédiatement une question : « Dieu a-t-il prévu et rendu certain la chute d'Adam et d'Ève, ainsi que toutes ses conséquences, y compris l'iniquité et la rébellion de leurs descendants ? ».
2. Pourquoi Dieu a-t-il pré-déterminé la chute ?
Il est rare que j'arrive aussi loin dans une conversation avec des calvinistes. Cependant, lorsque j'y arrive, et qu'ils acceptent de répondre, ils se divisent et vont dans deux directions. Premièrement, certains diront : « Tout cela relève du domaine du mystère. Nous ne savons pas exactement pourquoi ni comment la chute s'est produite. Tout ce que nous savons, c'est que Dieu l'a permise pour de bonnes raisons qui dépassent notre compréhension et qu'il l'a utilisée pour démontrer son amour et sa justice ».
3. Pourquoi l’élection inconditionnelle ?
Face à cette réponse, la conversation doit alors se tourner vers la raison pour laquelle Dieu élit certains des descendants déchus d'Adam et Eve pour les sauver et laisse les autres souffrir en enfer éternellement. En effet, puisque l'élection est inconditionnelle et la grâce irrésistible, Dieu pourrait sauver tout le monde. La plupart de ces calvinistes affirmeront quelque chose comme « Tout ce que Dieu fait est bon simplement parce que Dieu le fait ». Ah ! Voilà que le nominalisme/volontarisme est utilisé comme « échappatoire » pour éviter de devoir expliquer comment la bonté de Dieu est compatible avec un décret aussi horrible. Deuxièmement, certains diront : « Dieu a conçu, prédestiné et rendu certaine la chute d'Adam et d'Ève et toutes ses conséquences, mais il ne les a pas contraints, eux ou quiconque, à pécher. Il leur a permis, tout comme à nous, de pécher par leur propre nature ».
4. Les hommes peuvent-t-il agir différemment ?
La question qui suit naturellement cette réponse est « Auraient-ils pu faire autrement ? ». Ces calvinistes (plus cohérents) répondent généralement « non ». L'explication qui s'ensuit est quelque chose comme : « Dieu a permis à Adam et Eve et à leurs descendants de pécher et l'a rendu certain en retenant la grâce spéciale dont ils auraient eu besoin pour ne pas pécher ». (Cette réponse se trouve dans les écrits ultérieurs d'Augustin, ainsi que dans L'Institution de Calvin et dans les écrits de Jonathan Edwards).
De nombreux calvinistes refusent cependant d'aller jusque-là. Néanmoins, ils ne peuvent alors pas répondre à la question de savoir pourquoi Adam et Ève ont péché et toute l'humanité avec eux, étant donné que Dieu aurait pu l'empêcher et qu'ils n'avaient pas de libre arbitre libertarien. En effet, la providence de Dieu (comme l'expliquent tous les écrits et enseignements calvinistes) englobe tout. Elle est, selon le calvinisme, exhaustive, méticuleuse et rend certain tout ce qui arrive. En d'autres termes, la doctrine calviniste orthodoxe et classique de la providence contredit toute échappatoire qui permettrait de rendre Dieu non responsable de la chute.
Revenons à mon point principal que certains lecteurs ont peut-être oublié : Les calvinistes doivent se rappeler leur doctrine de la providence divine lorsqu'ils parlent de la prédestination. Trop souvent, très souvent, selon mon expérience, ils dissocient les deux sujets lorsqu'on leur demande d'expliquer la chute. Soudain, la chute devient contingente, alors que cela est incompatible avec la doctrine calviniste de la providence2N.D.L.R. : certains calvinistes affirment que les actions humaines sont contingentes, mais en donnant une définition particulière de ce terme qui n'implique aucunement que l'homme peut, par lui-même, faire autrement. Voir : https://arminianisme-evangelique.fr/etude-sur-le-determinisme-theologique-dans-le-calvinisme/#32-certains-evenements-sont-contingents.
Lorsque les calvinistes parlent de la rébellion et de la chute d'Adam et Ève, ils font trop souvent appel à deux éléments auxquels ils ne sont normalement pas autorisés à faire appel étant donné leur doctrine de la providence : le libre arbitre libertarien et la permission de Dieu. Par « permission de Dieu », ils entendent « permission efficace », c'est-à-dire que Dieu a conçu et prédestiné et rendu certain la chute et toutes ses conséquences, en retirant la grâce dont Adam et Eve avaient besoin pour ne pas tomber. La plupart d'entre nous considéreraient qu'il ne s'agit pas vraiment d'une « permission » mais d'une « causalité », même s'il s'agit d'un type de causalité indirecte.
5. Qui est l'auteur ultime du péché, du mal et de l'enfer ?
La question critique à laquelle les calvinistes doivent répondre est la suivante : « Qui est l'auteur ultime du péché, du mal et de l'enfer ? ». Ils ont communément envie de dire « l'humanité » ou « Satan et l'humanité ». Toutefois, ce que je soutiens, c'est que leur doctrine de la souveraineté, plus particulièrement celle de la providence de Dieu, implique que cette réponse n'est pas cohérente si l'on prête attention au mot « ultime ». Dans ce système de théologie, en combinant et en maintenant liés la providence et la prédestination, il n'y a pas d'échappatoire permettant d'éviter de dire que Dieu est l'auteur ultime du péché, du mal et de l'enfer. Jonathan Edwards a été à deux doigts de l'admettre3comme je le montre dans mon livre Against Calvinism. et n'a pu s'en sortir qu'en disant que Dieu n'a pas provoqué la chute d'Adam et Ève mais a seulement rendu leur chute certaine. Néanmoins, cela fait de Dieu l'auteur du péché et du mal dans tout le sens commun de ces mots. [N.D.L.R. : en particulier si l'on comprend que, dans ce système, Dieu a également déterminé comment Adam et Ève agiront sans la grâce que Dieu leur a retirée.]
Conclusion
Ce que je soupçonne est que de nombreux chrétiens de la mouvance « Young, Restless, Reformed » n'ont tout simplement pas réfléchi au calvinisme avec suffisamment de profondeur pour détecter ces problèmes et devoir s'y confronter. On leur apprend à se concentrer uniquement sur la grâce et la miséricorde de Dieu envers les élus et à ignorer la question du rôle de Dieu dans le péché et le mal. Ou bien on leur apprend à échapper au problème en faisant appel au mystère ou à la formule de tendance nominaliste-volontariste « Tout ce que Dieu fait est bon simplement parce que Dieu le fait ».
Quel est le problème ? Cela rend Dieu indigne de confiance. Nous ne pouvons plus savoir si Dieu tiendra ses promesses, car un Dieu sans un caractère éternel, immuable, régissant sa volonté, pourrait changer d'avis à tout moment et décider, par exemple, que le salut est par les œuvres plutôt que par la foi. Il est impossible d'échapper à une telle possibilité une fois que l'on tombe dans le nominalisme-volontarisme. Combien de jeunes chrétiens calvinistes ont été confrontés à ces questions et ont dû lutter avec elles ? Combien ont connaissance de l'alternative d'un véritable arminianisme classique (qui n'est pas un semi-pélagianisme) qui est une option viable pour la doctrine du salut ? D'après mon expérience, très peu, presque aucun.
Voici ma propre expérience, de plus de 35 ans d'enseignement de théologie à de jeunes calvinistes. Presque sans exception, dès que je leur signale les problèmes du calvinisme classique et cohérent et que je leur explique l'arminianisme classique, ils mettent leur calvinisme de côté et adoptent quelque chose comme l'arminianisme, même s'ils ne veulent pas l'appeler ainsi (et je n'insiste pas pour qu'ils l'appellent ainsi). [...] Parfois, bien sûr, ils cherchent un « juste milieu » et je leur montre qu'il n'y a pas vraiment de juste milieu entre le calvinisme et l'arminianisme et que l'arminianisme est le juste milieu entre le calvinisme et le semi-pélagianisme, bien que cela soit pas mon terme préféré pour cela. En aucun cas je ne les traite différemment s'ils s'accrochent à leur calvinisme. Je continue à les valoriser et à les traiter de la même manière que les autres étudiants et je les encourage simplement à lire et à réfléchir.
[Pour en savoir plus : Étude sur le déterminisme théologique dans le calvinisme]
Article original : OLSON, Roger E. Why My Conversations with Calvinists are Rarely Productive. In : Roger E. Olson: My Evangelical, Arminian Theological Musings [en ligne]. Patheos, 2018-02-09 [consulté le 2022-09-09]. Disponible à l’adresse : https://www.patheos.com/blogs/rogereolson/2018/02/conversations-calvinists-rarely-productive/