Avec la création d’Arminianisme Évangélique, nous avons choisi de défendre une théologie réfléchie face aux dérives de l’évangélisme contemporain. Notre site s’inscrit dans une démarche critique envers certaines doctrines du salut présentes dans l’évangélisme, telles que le semi-pélagianisme, la « théologie de la grâce gratuite » (qui affirme la préservation inconditionnelle du croyant sans nécessité de persévérance) ou encore le calvinisme.
Dans cet éditorial, nous examinons le développement de l’anti‑intellectualisme évangélique, en retraçant ses racines dans le fondamentalisme et soulignant ses effets délétères, notamment la fragmentation doctrinale. Nous montrons en outre comment cette posture a paradoxalement favorisé la diffusion du calvinisme chez des évangéliques en quête de profondeur. Enfin, nous présentons notre démarche pour promouvoir une foi bien informée et analysons les réactions qu’elle a suscitées.
Le constat de l'anti-intellectualisme évangélique
Selon Noll, l'évangélisme a vécu une crise anti-intellectuelle dès la fin du XIXe siècle :
« Le fondamentalisme, le pré-millénarisme dispensationnel, le mouvement de la vie supérieure et le pentecôtisme étaient toutes des stratégies évangéliques de survie en réponse aux crises religieuses de la fin du XIXe siècle. De différentes manières, chacune d'elles a contribué à préserver quelque chose d'essentiel de la foi chrétienne. Néanmoins, elles ont aussi causé un désastre pour la vie de la pensée1NOLL, Mark A. The Scandal of the Evangelical Mind. Grand Rapids, MI : Wm. B. Eerdmans Publishing, 2022, chap. 1. »
Vondey explique ce constat ainsi :
« Du point historique et scientifique post-siècle des lumières, les pentecôtistes classiques (ainsi que le mouvement de la sainteté et les traditions fondamentalistes) ont été considérés comme un mouvement profondément anti-intellectuel. L’essor du pentecôtisme mondial a confirmé le stéréotype qui consiste au fait que les pentecôtistes, en tout lieu, ont un fort préjugé anti-théologique et anti-académique. […] Le pentecôtisme s’est affermi par les signes et miracles accompagnant l'effort de leurs adhérents, de sorte que l’enseignement formel ou les études académiques étaient considérés au mieux comme non-nécessaires ou, au pire, comme ralentissant l’œuvre des chrétiens en faveur du royaume des cieux. Cette œuvre se focalisait sur la louange et le témoignage plutôt que sur l’étude écrite, la recherche académique, l’érudition. […] Ces formes indirectes de résistance à l’effort intellectuel d’éducation sur le long terme, étaient associées à l’idée préconçue et négative que l’intellectualisation de la foi chrétienne consistait à résister à l’œuvre du Saint-Esprit, ou du moins à étouffer sa voix2VONDEY, Wolfgang. Pentecostalism: A Guide for the Perplexed. London : Bloomsbury, 2012, p. 134-135. »
La motivation initiale de groupes tels que les pentecôtistes était tout à fait légitime : écouter et obéir au Saint-Esprit. Ayant fait l’expérience tangible de sa direction, ils en sont cependant venus à penser qu’ils pouvaient se dispenser d’une réflexion théologique approfondie pour répondre à ses attentes3BRODIE, Robert. The Anointing Or Theological Training? A Pentecostal Dilemma Conspectus. The Journal of the South African Theological Seminary, 2011, vol. 11, n°3, 2011, p. 54. Disponible à l’adresse : https://sats.ac.za/wp-content/uploads/2020/02/Brodie-The-Anointing-or-Theological-Training-A-Pentecostal-Dilemma.pdf. Quelles qu’en soient les raisons, ils ont ainsi renoncé à leur responsabilité de développer une théologie suffisamment approfondie et de la transmettre afin d’en assurer la pérennité4OLSON, Roger E.. What Is Pentecostalism? What Do Pentecostals Believe?. In : Roger E. Olson: My evangelical arminian theology musings [en ligne]. Patheos, 2016-10-29 [consulté le 2022-11-02]. Disponible à l’adresse : https://www.patheos.com/blogs/rogereolson/2016/10/what-is-pentecostalism-what-do-pentecostals-believe/. Ce manque d’ancrage doctrinal a d’ailleurs favorisé une vulnérabilité aux fausses doctrines5OLSON, Roger E.. Le pentecôtisme, traits caractéristiques. In : Blog de réflexion chrétien [en ligne]. 2023-01-15 [consulté le 2023-01-22]. Disponible à l’adresse : https://reflexionsjesus.wordpress.com/2023/01/15/le-pentecotisme-traits-caracteristiques/. À l’image des pentecôtistes et d’autres mouvements fondamentalistes, une grande partie du monde évangélique s’accommode aujourd’hui d’un anti-intellectualisme persistant6NOLL, Mark A. The Scandal of the Evangelical Mind. Grand Rapids, MI : Wm. B. Eerdmans Publishing, 2022, chap. 1. « Malgré un succès dynamique au niveau populaire, les évangéliques américains modernes ont failli notablement à maintenir une vie intellectuelle sérieuse. Ils ont nourri des millions de croyants par les simples vérités de l'évangile, mais ont largement abandonné les universités, les arts ou tout autre royaume culturel plus élevé. ».
L'anti-intellectualisme que nous décrions ici n'est pas le rejet de la prééminence absolue de l'intellectualisme. Il existe d'ailleurs toutes sortes d'excès liés à l'intellectualisme qui amènent des théologiens chrétiens à se livrer à des spéculations métaphysiques totalement vaines. La scolastique réformée est un exemple de courant théologique ayant suscité des spéculations mortifères pour la vie de l'Esprit. De manière générale, c'est surtout dans des mouvements chrétiens libéraux que ces théories apparaissent, telles la théologie du processus.
Un chrétien peut très bien valoriser la réflexion approfondie sans pour autant reconnaître sa prééminence absolue7GUINNESS, Os. Fit Bodies, Fat Minds: Why Evangelicals Don’t Think and What to Do about It. Grand Rapids, MI : Baker Books, 1994, p. 38. L'anti-intellectualisme que nous décrions ici est cette attitude consistant à montrer de la méfiance vis-à-vis de la réflexion approfondie8Anti-intellectual. In : Merriam-Webster.com Dictionary [en ligne] Merriam-Webster, [consulté le 2022-11-02]. Disponible à l’adresse : https://www.merriam-webster.com/dictionary/anti-intellectual. « Anti-intellectuel : état d'opposition ou d'hostilité aux intellectuels ou à une vision ou une approche intellectuelle. ». Cette méfiance a été illustrée par exemple dans les prises de positions ouvertement anti-théologiques de certaines figures de l'évangélisme de la fin XIXe siècle :
« Dwight L. Moody [1837-1899] a dit : "Ma théologie ? Je ne savais pas que j'en avais une." Sam P. Jones [1847–1906], le Moody du Sud, a dit : "Si j'avais un crédo, je le vendrais à un musée." Billy Sunday [1862-1935] se vantait en disant qu'il "n'en savait pas plus sur la théologie qu'un lièvre sur le ping-pong9GUINNESS, Os. Fit Bodies, Fat Minds: Why Evangelicals Don’t Think and What to Do about It. Grand Rapids, MI : Baker Books, 1994, p. 38." »
Le fondamentalisme à la base de l'anti-intellectualisme évangélique
Il semble que le propre de l'approche anti-intellectuelle évangélique consiste finalement à ignorer, consciemment ou non, certains « dons d'homme » que Dieu a fait à son Église en vue de son bon fonctionnement, à savoir les exégètes et les théologiens (i.e. les « docteurs » d'Eph. 4:11). Cela conduit inévitablement à se priver de la direction qui est attachée à leur réflexion inspirée, pour peu qu'elle soit soumise à un examen attentif. C'est ce que nous rappelle Peckham :
« L'isolationnisme et l'amnésie historique ne font que rendre plus vulnérable aux influences historiques non reconnues et aux présuppositions philosophiques. La théologie tant historique que contemporaine devrait donc être sérieusement engagée, sans rendre ni l'une ni l'autre déterminante. Toute tradition qui s'accorde avec les Écritures peut être affirmée, mais une telle affirmation nécessite une interprétation attentive des Écritures. Dans ce processus, il faut rester conscient du potentiel de mauvaise interprétation personnelle ou collective des Écritures, ce qui pourrait nécessiter le rejet de certaines traditions qui étaient auparavant acceptées10PECKHAM, John. Canonical Theology: The Biblical Canon, Sola Scriptura, and Theological Methods. Grand Rapids, MI : Wm. B. Eerdmans Publishing, 2016, p. 161. »
L'approche individualiste ou « isolationniste » conduit souvent à des affirmations de « vérités » décontextualisées, dépourvues d’un ancrage dans un cadre théologique ou exégétique apte à produire une compréhension solide. Comme le souligne Brodie, ces vérités reposent sur un cadre théologique restreint, privilégiant l'expérience personnelle11MCDERMOTT, Gerald R.. The Emerging Divide In Evangelical Theology. JETS. 2013, vol. 56, n°2, p. 367-368. Disponible à l’adresse : https://etsjets.org/wp-content/uploads/2013/06/files_JETS-PDFs_56_56-2_JETS_56-2_355-377_McDermott.pdf, ce qui les rend moins robustes :
« Toute tentative visant à substituer l’expérience personnelle à la doctrine biblique et à privilégier l’orthopraxie par rapport à l’orthodoxie doit être rejetée en faveur d’un juste équilibre entre les deux. Il n’existe pas de théorie pure, ni de pratique pure. La pratique ne peut exister sans théorie, et ceux qui n’en sont pas conscients se livrent à l’exercice de leur pratique sous la direction d’une théorie inconsciente, irréfléchie et non systématique. La théorie doit continuellement tester la pratique et les connaissances de la pratique doivent être utilisées pour modifier et améliorer la théorie12BRODIE, Robert. The Anointing Or Theological Training? A Pentecostal Dilemma Conspectus. The Journal of the South African Theological Seminary, 2011, vol. 11, n°3, 2011, p. 60. Disponible à l’adresse : https://sats.ac.za/wp-content/uploads/2020/02/Brodie-The-Anointing-or-Theological-Training-A-Pentecostal-Dilemma.pdf. »
Malty constate que cette approche « isolationiste » est systématiquement associée à une posture fondamentaliste / littéraliste :
« [L]a croyance fondamentaliste dans le littéralisme est cette étape finale dans le processus de compréhension de ces vérités [bibliques] d'une manière qui contourne présumément les aléas de l'interprétation. Une des conséquences de l'engagement envers le littéralisme est qu'il perpétue l'anti-intellectualisme de longue date qui se trouve à la base du fondamentalisme. Si la vérité divine est directement énoncée dans les Écritures, alors les interprétations élaborées et les commentaires alambiqués des érudits ecclésiastiques et universitaires sont redondants ou trompeurs, voire même un signe d'apostasie13MALTY, Paul. Christian Fundamentalism and the Culture of Disenchantment. Charlottesville : University of Virginia Press, 2013, chap. Literalist Reading. »
La lecture fondamentaliste se caractérise par le rejet de l'herméneutique (science de l'interprétation des textes) et par une approche littérale qui n'attribue au texte biblique qu'un seul sens14GEFFRÉ, Claude. La lecture fondamentaliste de l’Écriture dans le christianisme. Études, 2002, vol. 397, n°12, p. 635-645. Disponible à l’adresse : https://shs.cairn.info/revue-etudes-2002-12-page-635?lang=fr. « La lecture fondamentaliste part du principe que la Bible, étant la Parole de Dieu inspirée et exempte d’erreur, doit être lue et interprétée littéralement en tous ses détails. [...] Le véritable enjeu théologique d’une lecture fondamentaliste de l’Écriture, c’est la méconnaissance de la nécessaire approche herméneutique qui est engagée dans toute lecture d’un texte, qu’il soit inspiré ou non. La lecture la plus objective d’un texte peut toujours susciter une pluralité d’interprétations. Le fondamentalisme, qu’il soit protestant ou catholique, est caractérisé par un refus de l’herméneutique. Sous prétexte qu’il est révélation de Dieu, un texte inspiré, aussi obscur soit-il, doit être porteur d’un seul sens, directement accessible. L’idée qu’un texte de l’Écriture ne prenne son sens qu’à la lumière de l’ensemble des Ecritures, et qu’il relève de plusieurs lectures, n’effleure pas le tenant d’une lecture fondamentaliste. »15OLSON, Roger E.. The Scandal of the Evangelical Mind—Again. In : Roger E. Olson: My evangelical arminian theology musings [en ligne]. Patheos, 2022-04-11 [consulté le 2022-11-02]. Disponible à l’adresse : https://www.patheos.com/blogs/rogereolson/2022/04/the-scandal-of-the-evangelical-mind-again/ « Malgré toutes ses forces, l'évangélisme américain est apparemment anti-intellectuel dans son ADN. […] J'ai été activement "là-bas" dans les "tranchées" (églises) enseignant et parlant et j'ai ressenti les influences de la religion populaire et de l'anti-intellectualisme. J'ai mis les gens (évangéliques) en colère en corrigeant doucement leurs croyances religieuses populaires, y compris l'acceptation sans critique de légendes urbaines de nature religieuse manifestement fausses. […] dans les cercles chrétiens évangéliques, trop souvent, "Comme le dit la Bible" est suivi de quelque chose que la Bible ne dit absolument PAS et l'orateur ne veut pas qu'on lui dise cela, ni ses amis dans l'étude biblique ou la classe de l'école du dimanche. ».
Une résurgence du calvinisme
Selon McDermott, l’évangélisme n’est pas intrinsèquement anti-intellectuel et rejette le fondamentalisme en théorie16MCDERMOTT, Gerald R.. The Emerging Divide In Evangelical Theology. JETS. 2013, vol. 56, n°2, p. 358. Disponible à l’adresse : https://etsjets.org/wp-content/uploads/2013/06/files_JETS-PDFs_56_56-2_JETS_56-2_355-377_McDermott.pdf. « Les précurseurs de la théologie évangélique d'aujourd'hui sont apparus à l'origine comme des réactions conscientes contre le fondamentalisme, [...] Comme l'a décrit un érudit, [le fondamentalisme] était « trop tourné vers l'autre monde, anti-intellectuel, légaliste, moralisateur et anti-œcuménique ».. Cependant, à partir de 1945, le fondamentalisme a suscité, au moins en partie, un intérêt disproportionné pour des questions secondaires, exacerbant ainsi les divisions théologiques au sein de l’évangélisme :
« Au cours des soixante-dix dernières années, la théologie évangélique s'est affinée, tandis que de nombreux évangéliques se sont concentrés sur des questions périphériques (telles que « l’enlèvement » et d'autres détails eschatologiques discutables) et ont assimilé les conclusions logiques du dogme au dogme lui-même (des formulations spécifiques de l'inerrance biblique, la double prédestination, la seconde bénédiction, le millénium)17MCDERMOTT, Gerald R.. The Emerging Divide In Evangelical Theology. JETS. 2013, vol. 56, n°2, p. 358. Disponible à l’adresse : https://etsjets.org/wp-content/uploads/2013/06/files_JETS-PDFs_56_56-2_JETS_56-2_355-377_McDermott.pdf. »
Au sein de ces mouvances doctrinales, une résurgence du calvinisme s’est manifestée à partir des années 198018VERMULEN, Brad. Reformed Resurgence: The New Calvinist Movement and the Battle Over American Evangelicalism. Oxford : Oxford University Press, 2020, p. 129. McKnight décrit ce renouveau comme s’érigeant en voix fédératrice dans l'évangélisme :
« La diversification, la fragmentation et la dilution à l'œuvre dans l'étendue de l'évangélisme ont fait apparaître l'absence de voix faisant autorité et ont conduit à un "conflit insoluble". Qui interviendra pour diriger l'évangélisme ? Le nouveau calvinisme revendiquait cette vocation19MCKNIGHT, Scot. New Calvinism Explained: How it happened. In : Scot McKnight, [en ligne] 2022. Disponible à l’adresse : https://scotmcknight.substack.com/p/new-calvinism-explained-how-it-happened. »
Stanglin justifie cette résurgence par la recherche d'une réflexion théologique profonde et d'un cadre traditionnel par certains évangéliques américains. Celle-ci s'est ensuite diffusée en France par influence culturelle20OMNES, Etienne. Pourquoi cette opposition à l'intellectuel chez les évangéliques ? In : Par la foi [en ligne] 2019, consulté le 2022-10-03. Disponible à l’adresse : https://parlafoi.fr/2019/06/25/pourquoi-cette-opposition-a-lintellectuel-chez-les-evangeliques-2/ « Bref, mettez ensemble une communauté réformée prête à discuter avec des évangéliques, une communauté évangélique à la recherche d’une théologie comme les réformés, et ajoutez un catalyseur comme Billy Graham… et vous obtenez une résurgence réformée en Amérique, et par influence culturelle, en France. ».
« Pourquoi y a-t-il une résurgence du calvinisme ? Les évangéliques, en quête de profondeur théologique et de racines confessionnelles, ont trouvé ce qu'ils cherchaient dans diverses traditions chrétiennes : l'orthodoxie orientale, le catholicisme romain et, pour ceux attachés à la Réforme protestante, dans la théologie réformée. Outre sa cohérence logique et son aptitude à éclairer des passages bibliques difficiles, le calvinisme bénéficie de défenseurs et de vulgarisateurs convaincants. Toutefois, le calvinisme qui renaît n'est souvent pas l'orthodoxie réformée classique, mais une forme de déterminisme métaphysique influencée par l'évangélisme américain21STANGLIN, Keith D.. Reconsidering Arminius: Beyond the Reformed and Wesleyan Divide. Fullerton : Kingswood Books, 2014, p. 165-166. Disponible à l’adresse : https://scholarworks.calstate.edu/downloads/7w62fb02s. »
D'après Stanglin, ce sont typiquement les dénominations évangéliques qui ont négligé de formaliser suffisamment leur compréhension théologique, qui sont les plus susceptibles à l'influence des doctrines calvinistes :
« Prenez, par exemple, la plus grande dénomination pentecôtiste du monde, les Assemblées de Dieu. Bien que celle-ci émane du méthodisme wesleyen et qui est donc arminienne dans sa tradition concernant la doctrine du salut, leur « Déclaration des vérités fondamentales » n'exclut pas le calvinisme. Ainsi, lorsque ces églises et leurs responsables sont influencés par le calvinisme jusqu'à l'envisager comme une possibilité théologique, ils constatent qu'il n'est pas incompatible avec leur déclaration de foi et, en un rien de temps, sa présence se développe. L'influence calviniste est encore plus facile dans les Églises qui n'ont pas de confession ou de déclaration de foi, comme les Églises du Christ22STANGLIN, Keith. La résurgence du calvinisme. [The Resurgence of Calvinism]. In : Arminianisme évangélique. [en ligne], 2022-02-21. Disponible à l’adresse : https://arminianisme-evangelique.fr/la-resurgence-du-calvinisme/ ! »
Stratégie face aux dérives sotériologiques évangéliques
L’évangélisme contemporain se caractérise par une grande diversité de positions théologiques sur la doctrine du salut. Il se divise principalement en deux grandes tendances : d’un côté, un calvinisme en plein renouveau, et de l’autre, l’arminianisme. L’arminianisme enseigne que la grâce divine qui prépare la conversion est universelle et que la grâce conduisant à la justification est résistible. À l’inverse, le calvinisme affirme que cette grâce préalable n’est accordée qu’à certains et que la grâce menant à la justification est irrésistible.
Dans les faits, cependant, ce n’est souvent pas l’arminianisme authentique qui est enseigné, mais une version évangélique populaire : le semi-pélagianisme. Celui-ci soutient que l’homme peut initier sa conversion sans avoir besoin de grâce préparatoire, appelée grâce prévenante23OLSON, Roger E.. American Christianity and Semi-Pelagianism. In : Roger E. Olson: My Evangelical, Arminian Theological Musings [en ligne]. Patheos, 2011-02-20 [consulté le 2020-07-16]. Disponible à l’adresse : https://www.patheos.com/blogs/rogereolson/2011/02/american-christianity-and-semi-pelagianism/. De même, la doctrine de la sécurité éternelle non-calviniste est apparue comme une construction hybride entre arminianisme et calvinisme24WALLS, Jerry L., DONGELL, Jospeh. Why I am not a Calvinist. Downers Grove, IL : InterVarsity Press, 2004, p. 14. « Les [baptistes du Sud] constituent un cas d’étude particulièrement intéressant, car leur théologie est souvent un hybride de calvinisme et d’arminianisme. [...] La plupart des baptistes aujourd’hui sont arminiens, sauf en ce qui concerne leur croyance en la sécurité éternelle. ». L’une de ses variantes les plus récentes et en pleine expansion, la théologie de la grâce gratuite, enseigne la préservation inconditionnelle du croyant indépendamment de toute persévérance25GRUDEM, Wayne. "Free Grace" Theology: 5 Ways it Diminishes the Gospel. Wheaton, IL : Crossway, 2016, p. 21-22. « Ce caractère récent n’implique pas que le mouvement soit insignifiant. Bien qu’une minorité seulement des professeurs du Dallas Seminary aient adopté la perspective de la grâce gratuite, Zane Hodges fut un enseignant d’une influence exceptionnelle, et chaque année certains étudiants adoptaient sa position. Puis, à travers ces étudiants, le mouvement de la grâce gratuite a acquis une influence mondiale remarquable, notamment en décourageant les chrétiens d’inclure un appel explicite à la repentance dans leurs présentations de l’Évangile. ».
Nous traversons des temps de plus en plus difficiles, où la haine, l'injustice et la calomnie à l’égard des chrétiens se manifestent avec une intensité grandissante. Que fera donc le chrétien sous le feu de la persécution si l’on sape l'enseignement théologique censé lui permettre d’y faire face ? Ne serait-il pas gravement désavantagé s’il se trouvait armé, malgré lui, d’une doctrine faussée sur le salut, la nature et la providence divines ? Ces doctrines comptent parmi les plus fondamentales de la théologie chrétienne et, à mesure que le temps passe, leur importance apparaît toujours plus cruciale. Nous sommes convaincus qu’une compréhension approfondie du caractère de Dieu, de ses intentions, de son action et de son modus operandi permet d’entretenir une relation juste avec lui et, par conséquent, de mieux affronter les agressions du monde et du diable.
Face au recul de l’enseignement théologique approfondi et à la vulnérabilité croissante des évangéliques face à des doctrines telles que le calvinisme, la théologie de la grâce gratuite ou le semi-pélagianisme, nous avons entrepris d’examiner et de réfuter leurs points problématiques. Conscients que l’arminianisme offre certains éléments doctrinaux pertinents, nous avons souhaité les rendre plus accessibles aux évangéliques francophones, qui disposent de bien moins de ressources en la matière que leurs homologues anglophones.
Dans cette perspective, nous avons lancé le site Arminianisme Évangélique en mai 2019, où nous avons mis à disposition des livres réédités et republiés, ainsi que plus d'une centaine d’articles d’information et d’analyse théologique. En août 2020, nous avons également créé une page Facebook associée, destinée à relayer les articles du site et à animer un groupe de discussion.
Bien que nous considérions le calvinisme comme une doctrine sotériologique moins équilibrée que l’arminianisme, cela n’a jamais remis en cause notre volonté de dialogue et d’échange fraternel avec ceux qui s’en réclament. Au contraire, nous avons saisi les opportunités de collaboration : plusieurs de nos articles ont été soumis à la relecture de théologiens et pasteurs calvinistes afin de garantir une présentation fidèle de leurs positions et d’éviter toute déformation dans nos écrits.
Analyse des réactions évangéliques
Les réactions du milieu évangéliques ont été diverses, et l’influence de l’anti-intellectualisme s’est souvent fait fortement ressentir. Une première manifestation de cet anti-intellectualisme prend la forme d’un obscurantisme valorisant l’irrationnel. Roger E. Olson souligne à ce propos :
« L'obscurantisme anti-intellectuel est un problème persistant chez les chrétiens. [...] Les gens qui font appel à la croyance contre la logique, qui se délectent de l'irrationalité, sont non-enseignables26OLSON, Roger E.. The Problem of Irrational, Unteachable Christians. In : Roger E. Olson: My Evangelical, Arminian Theological Musings [en ligne]. 2015-04-26 [consulté le 2021-11-04]. Disponible à l’adresse : https://www.patheos.com/blogs/rogereolson/2015/04/the-problem-of-irrational-unteachable-christians/. »
Dans notre contexte, cet obscurantisme s’exprime souvent à travers la croyance que l’arminianisme et le calvinisme constitueraient deux extrêmes opposés et que la vérité résiderait nécessairement dans une position intermédiaire. Ceux qui adoptent cette perspective affirment fréquemment : « Je ne suis ni calviniste ni arminien », prétendant ainsi suivre une voie médiane. Or, si l’arminianisme est loin d’être exempt d’imperfections, ces personnes, lorsqu’on les interroge sur les points problématiques, se révèlent incapables d’en identifier précisément, faute de connaissances réelles du sujet. Bien souvent, elles refusent d’étudier la question en profondeur afin de se positionner, préférant s’en tenir à une ambiguïté confortable.
Cette posture conduit à une vision où toute analyse théologique approfondie devient suspecte27OLSON, Roger E. Deux types de fondamentalisme chrétien. In : Blog de réflexion chrétien [en ligne]. 2023-02-19 [consulté le 2023-02-19]. Disponible à l’adresse : https://reflexionsjesus.wordpress.com/2023/02/19/deux-types-de-fondamentalisme-chretien/. Ainsi, certains ont critiqué notre travail en invoquant la « simplicité de l’Évangile ». Par un raisonnement fallacieux, ils généralisent l’idée que, puisque l’Évangile est « simple » à mettre en pratique, les réalités théologiques qui le sous-tendent devraient être tout aussi simples à comprendre (cf. 2 Pierre 3:15-16). Cette première forme d’anti-intellectualisme est probablement la plus répandue, et elle n’a abouti, dans nos échanges, qu’à de l’incompréhension et du désintérêt de la part de ses tenants.
Une seconde approche, tout aussi irrationnelle, est celle des défenseurs de la préservation inconditionnelle du salut sans nécessité de persévérance. Ceux-ci défendent leur position en recourant fréquemment à des sophismes, rejetant la thèse opposée sans véritable justification logique28OLSON, Roger E.. Comment résoudre un dilemme théologique ?. In : Arminianisme Évangélique. [en ligne]. 2022-12-26 [consulté le 2023-01-22]. Disponible à l’adresse : https://arminianisme-evangelique.fr/comment-resoudre-un-dilemme-theologique/. (Voir à ce propos : La doctrine de la sécurité éternelle : problèmes de logique).
Dans leurs réactions à notre projet d’information théologique, les calvinistes, quant à eux, ont fréquemment eu recours au sophisme de l’épouvantail. Par exemple, ils ont présenté l’arminianisme comme s’il n’enseignait pas la grâce prévenante, ce qui leur permet de le confondre avec le semi-pélagianisme et de le critiquer sur cette base erronée. (Voir à ce propos : Pourquoi, selon l'arminianisme, l'intelligence humaine est incapable de choisir le salut ?).
Nous sommes conscients de la diversité des lecteurs de notre site. Cependant, nous avons l’espoir d’avoir atteint parmi eux ceux qui sont animés par une soif sincère de mieux comprendre les réalités spirituelles. Les nombreux retours positifs que nous avons reçus nous ont encouragé dans cette démarche. En voici un exemple :
« Bonjour, j’aime beaucoup le contenu de votre site, et je suis très content d’avoir pu le découvrir. Il m’a été d’un grand bénéfice et m’a fortifié dans la foi. […] » (2022-09)
Nous nous réjouissons également du fait que nos ressources aient été référencées sur d'autres sites ou mentionnées dans les cours de certaines facultés et instituts de théologie (ex. : IBQ, ITB…).
Conclusion et perspectives
L’intellectualisme, surtout présent dans le christianisme traditionnel ou libéral, tend à évacuer le surnaturel de la réflexion théologique et produit souvent un discours stérile sur le plan spirituel. À l’inverse, l’anti-intellectualisme, plus répandu dans le christianisme évangélique, engendre une vulnérabilité marquée face aux fausses doctrines.
Comme nous l’avons souligné, la réaction contre l’intellectualisme, apparue à la fin du XIXᵉ siècle puis renforcée au milieu du XXᵉ, a contribué à la fragmentation doctrinale de l’évangélisme. Elle a notamment favorisé, de manière indirecte, la résurgence du calvinisme dans les années 1980. Pour notre part, nous constatons que les tenants de cette posture ont freiné l’avancement de notre projet d’information théologique par leurs critiques.
Nous restons néanmoins reconnaissants pour l’audience reçue et pour les publications réalisées jusqu’à présent. Celles-ci couvrent, selon nous, l’essentiel des thèmes que nous jugions nécessaires d’aborder. Désormais, notre projet consistera surtout à compléter, de façon plus modeste, ce qui mérite encore de l’être.


