Confessions d'un évangélique arminien

Roger E. Olson jpg
Photo : ANONYME. Roger E. Olson assis. In : The Mosaic of Christian Belief - Trailer. [vidéo en ligne], Seminary Now, 2021


Je me souviens très bien de la première fois où j’ai appris que la petite dénomination dans laquelle j’ai grandi et où j’ai été nourri spirituellement était « arminienne ». J’étais assis dans un cours de religion au collège de la dénomination lorsque le professeur nous informa que lui-même et la dénomination étaient théologiquement arminiens et que nous devrions tous l’être également. Une jeune étudiante assise près de moi s’exclama discrètement à l’adresse de sa voisine : « Qui voudrait être arménien ? » Je ne peux plus compter le nombre de fois, depuis lors, où j’ai entendu même des chrétiens très instruits - y compris des pasteurs et même des théologiens - parler de l’arminianisme ou de la théologie arminienne comme de « l’arménianisme ». Bien que cela puisse être frustrant pour ceux d’entre nous qui savent que le terme dérive du nom du théologien hollandais du XVIIe siècle Jacobus Arminius (mort en 1609), ce n’est guère l’aspect le plus frustrant de la confusion et de la controverse qui entourent encore l’arminianisme et la théologie arminienne des siècles après la mort de leur fondateur.

J’ai fréquenté un séminaire baptiste qui n’était pas arminien et l’un de mes professeurs de théologie bien-aimés m’a dit que l’arminianisme menait presque toujours au libéralisme théologique. Inutile de dire que j’étais choqué et incrédule ; je connaissais de nombreux arminiens fondamentalistes. Plus tard, en entrant dans le vaste et parfois tumultueux monde du christianisme évangélique américain, j’ai rencontré de nombreux étudiants, pasteurs et théologiens évangéliques réformés qui croyaient fermement, et me le faisaient savoir sans détour, que l’arminianisme était au mieux un christianisme défectueux et à peine évangélique.

La controverse entourant l’arminianisme au sein du protestantisme évangélique nord-américain est à la fois ancienne et nouvelle. Des puritains comme Jonathan Edwards ont argumenté contre l’arminianisme et l’ont qualifié tour à tour de socinianisme, de pélagianisme ou d’unitarisme. Bien que ces fausses identifications subsistent parfois, les héritiers plus sophistiqués et subtils des adversaires puritains de l’arminianisme l’identifient plus prudemment comme humaniste et semi-pélagien (d’accord avec les pélagiens pour nier le péché originel et ainsi défendre la liberté de choix de l’humanité). Le XVIIe siècle a vu des attaques virulentes des calvinistes contre les arminiens, qui leur rendaient la pareille. Le compositeur de cantiques Augustus Toplady, surtout connu pour son hymne « Rock of Ages », a rejeté les frères Wesley comme non-chrétiens parce qu’ils étaient arminiens. Aujourd’hui, des homologues théologiques plus prudents de Toplady, comme le théologien et apologète évangélique R. C. Sproul, admettent que les arminiens sont « à peine chrétiens », et seulement en raison d’une « heureuse inconsistance » dans leur théologie1SPROUL, R. C. Willing to Believe: The Controversy over Free Will. Grand Rapids, MI : Baker, 2002, p. 140..

La première division baptiste portait sur cette question. Les premiers baptistes (John Smyth et Thomas Helwys), qui fondèrent leurs congrégations au début du XVIIe siècle, étaient des baptistes généraux - c’est-à-dire arminiens. Avec d’autres protestants arminiens et anabaptistes, ils rejetaient au moins trois des célèbres « cinq points du T.U.L.I.P. » : l’élection inconditionnelle (prédestination absolue et inconditionnelle de certains au salut, non basée sur la prescience divine mais sur le décret divin), l’expiation limitée (le Christ est mort seulement pour les élus), et la grâce irrésistible (c’est-à-dire que la grâce salvatrice ne peut être résistée et que les élus reçoivent la grâce régénératrice et la foi avant leur repentance). Les baptistes particuliers adoptaient tous les points du calvinisme. Aujourd’hui encore, les baptistes sont divisés sur cette question. Aux XVIIIe et XIXe siècles, calvinistes, baptistes réformés et méthodistes se sont affrontés sur la question de la prédestination et ont eu beaucoup de mal à coopérer lors des réveils de la frontière américaine.

On aurait pu penser que ces vieilles hostilités auraient disparu depuis. Au XXe siècle, de nombreux calvinistes et arminiens ont mis de côté leurs différences et trouvé un terrain d’entente dans le type de christianisme qu’on a appelé « évangélisme ». Certains des grands leaders du mouvement fondamentaliste étaient calvinistes, d’autres arminiens. Lorsque la National Association of Evangelicals (NAE) fut fondée dans les années 1940, des dénominations des deux orientations théologiques furent admises comme égales. Le grand ministère évangélique de Billy Graham transcendait la différence entre évangéliques réformés et arminiens. Des ministères, organisations et institutions évangéliques majeurs comme Wheaton College et Fuller Theological Seminary, Christianity Today, la Evangelical Theological Society et Wycliffe Bible Translators comptaient des dirigeants réformés et arminiens. Ils se côtoyaient et s’acceptaient mutuellement comme chrétiens craignant Dieu, croyant à la Bible et aimant Jésus, malgré leur appartenance à des dénominations tenant fermement à des standards confessionnels spécifiquement calvinistes ou arminiens. Pendant un temps, il semblait que la réconciliation entre John Wesley et son collègue évangéliste George Whitefield, un calviniste ardent, se reproduisait à plus grande échelle. Cependant, alors que la « colle Graham » qui maintenait cette coalition transdénominationnelle commençait à se dissoudre dans les années 1980 et 1990, les vieilles fissures réapparurent.

L’opposition contemporaine des évangéliques réformés à l’arminianisme va du ton modéré à la virulence. Quel qu’en soit le ton, elle est résolument hostile à la domination perçue de la théologie arminienne dans les bancs et les chaires des églises évangéliques protestantes américaines. Un doyen de séminaire baptiste et historien de l’Église a qualifié l’attaque calviniste concertée contemporaine contre l’arminianisme de « vengeance des calvinistes » et l’a attribuée à la consternation des théologiens et ministres réformés devant la croyance quasi universelle au libre arbitre dans les milieux évangéliques. L’accent fort mis sur la « décision personnelle pour le Christ » et l’importance décroissante de la souveraineté divine et de la grâce irrésistible dans l’évangélisme auraient apparemment déclenché cette protestation réformée.

Bien que le dialogue théologique rigoureux et même le débat soient précieux et ne doivent pas être strictement évités, il arrive que la nouvelle manifestation de l’ancienne controverse calviniste-arminienne entre protestants évangéliques dégénère en polémiques désagréables. Un site web calviniste contient un essai de Steven Houck intitulé « Le Christ de l’arminianisme », qui dénonce l’arminianisme comme prêchant un « faux Christ » et appelle les arminiens à se repentir de ce « péché horrible ». La Southern Baptist Founders Conference promeut la croyance que le calvinisme est « l’orthodoxie baptiste », et son directeur exécutif a déclaré à l’auteur qu’il n’accepterait aucun arminien comme membre de sa grande église liée à la Southern Baptist Convention. L’Alliance of Confessing Evangelicals (ACE) a promulgué la « Déclaration de Cambridge », signée par plusieurs théologiens évangéliques de premier plan, qui déclare : « Nous confessons que les êtres humains naissent spirituellement morts et sont incapables même de coopérer avec la grâce régénératrice. » (L’arminianisme inclut la croyance que les êtres humains, inspirés et libérés par la grâce prévenante, peuvent coopérer avec la grâce régénératrice de Dieu par une repentance et une confiance librement choisies en Christ.) Le magazine Modern Reformation, publié par l’ACE, a publié des articles condamnant l’arminianisme comme incompatible avec la foi chrétienne évangélique authentique. Le directeur exécutif de l’ACE et rédacteur en chef de Modern Reformation a écrit un article intitulé « Évangéliques arminiens : option ou oxymore ? » dans lequel il déclare qu’on ne peut pas plus être à la fois arminien et évangélique qu’on ne peut être évangélique et catholique romain. Plusieurs institutions éducatives, à la fois multiconfessionnelles et évangéliques, ont informellement écarté les arminiens de leurs facultés de théologie. L’assimilation facile de l’arminianisme au semi-pélagianisme est devenue monnaie courante dans les milieux évangéliques réformés. Tout cela a conduit à une situation où de nombreux évangéliques arminiens préfèrent éviter l’étiquette arminienne. J’ai dit à un collègue théologien évangélique que sa théologie était distinctement arminienne, et il a répondu : « Ne le dis à personne. »

Le contexte de cet essai réside dans cette confusion et controverse contemporaine autour de l’arminianisme parmi les chrétiens protestants évangéliques d’Amérique du Nord. Certains arminiens évangéliques sont devenus si écœurés et frustrés qu’ils ont renoncé à l’évangélisme. Pour eux, il semble irrémédiablement réformé et hostile aux croyances arminiennes. L’historien et théologien de l’Église arminien évangélique Donald W. Dayton a développé la thèse selon laquelle George Marsden, historien de l’Église évangélique réformée, a créé un faux « paradigme réformé » de l’histoire et de la théologie évangéliques qui doit être équilibré par un « paradigme pentecôtiste ». (Le « paradigme pentecôtiste » de Dayton pour l’évangélisme ne le limiterait pas au pentecôtisme ; il fait simplement référence aux racines revivalistes et largement arminiennes de l’évangélisme.) Ma propre préoccupation est principalement de dissiper la confusion autour de la théologie arminienne et de l’arminianisme en général. Je crois qu’une grande partie de la controverse à leur sujet repose sur une confusion quant à leur nature. Une partie de cette confusion, j’en suis convaincu, est semi-intentionnelle. C’est-à-dire que je pense connaître certains critiques évangéliques réformés de l’arminianisme qui savent en quoi il diffère du semi-pélagianisme, mais qui, pour des raisons polémiques et politiques, persistent à qualifier les arminiens de « semi-pélagiens ».

La plupart de la confusion et de la controverse, cependant, sont inutiles. Elles peuvent être dissipées avec un peu d’information historique solide et de bonne volonté. Dans cet essai, donc, je voudrais éclaircir la théologie arminienne en trois étapes. Premièrement, j’examinerai les phénomènes de « l’évangélisme » et de « l’arminianisme » d’un point de vue historique et théologique, en cherchant à les définir aussi précisément que possible. Beaucoup de confusion et de controverse peuvent être réglées par des définitions appropriées. Deuxièmement, je présenterai les objections à l’arminianisme afin d’exposer le « dossier contre l’arminianisme » de la manière la plus juste et objective possible. Enfin, je proposerai un argument en faveur de « l’option arminienne » au sein de la théologie évangélique et tenterai de montrer que « arminien évangélique » n’est pas un oxymore, car comme les évangéliques, les vrais arminiens croient et confessent que le salut est en Christ et par sa grâce.

Définitions de « évangélique » et « arminien »

Lorsqu’un critique de l’arminianisme déclare que « arminien évangélique » est un oxymore, et lorsqu’un arminien quitte l’évangélisme parce qu’il ou elle est d’accord avec le critique, les deux partent du principe que ces termes ont des définitions particulières. Le problème, bien sûr, est que « évangélique » et « arminien » sont essentiellement des concepts contestés. Il n’existe pas de définitions normatives universellement acceptées de l’un ou l’autre terme, et aucune autorité ne peut imposer un accord sur la signification de ces étiquettes. Bien entendu, la situation est similaire pour de nombreux autres termes et catégories. Qu’est-ce que le « New Age » ? Qui est vraiment un « new ager » ? Qu’est-ce que le mouvement charismatique, et qui est charismatique ? Il est peut-être un peu plus facile de définir le « catholicisme romain » en raison de l’existence d’un magistère, mais en l’absence d’un magistère (comme le Vatican pour le catholicisme romain mondial), les mouvements et catégories religieux restent essentiellement contestés. La seule solution, donc, si l’on veut vraiment établir une définition crédible, est de revenir aux sources et d’examiner comment le mouvement ou la catégorie a commencé et d’inspecter ses principaux porte-parole et défenseurs, alors et depuis...

Définir l’évangélisme

L’évangélisme sert à désigner trois ou quatre mouvements religieux partiellement superposés. Surtout en Europe, mais aussi en Amérique du Nord, « évangélique » est souvent utilisé comme synonyme de « protestant » et parfois plus particulièrement de « luthérien ». Certains critiques de l’arminianisme qui soutiennent qu’il est incompatible avec la « théologie évangélique » semblent vouloir dire qu’il est incohérent avec certains des engagements théologiques fondamentaux des réformateurs protestants du XVIe siècle et de leurs héritiers orthodoxes. D’ordinaire, cependant, ces critiques croient aussi que l’évangélisme authentique, au sens plus étroit et spécifiquement américain, est une extension de ce protestantisme magistériel de Luther, Zwingli, Calvin, Cranmer et de leurs disciples. Les réformateurs radicaux, donc, y compris les anabaptistes et leurs descendants théologiques, ne sont pas comptés comme vraiment, authentiquement « évangéliques ».

La deuxième définition de l’évangélisme fait référence aux réformes piétistes et revivalistes du protestantisme à la fin du XVIIe siècle et tout au long du XVIIIe siècle, ainsi qu’à leurs héritiers et descendants ultérieurs. En ce sens, les premiers évangéliques seraient Philip Spener, August Francke, Ludwig von Zinzendorf, John Wesley, George Whitefield et Jonathan Edwards. La caractéristique clé de cet évangélisme est l’expérience d’une relation personnelle avec Jésus-Christ qui commence et se développe à partir d’une expérience de conversion, d’une nouvelle naissance.

La troisième définition de l’évangélisme est le fondamentalisme précoce, illustré par les grands théologiens protestants conservateurs de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, qui protestaient contre le protestantisme libéral. J. Gresham Machen représente bien ce genre d’évangélisme. Ses disciples Cornelius Van Til et Francis Schaeffer ont repris le flambeau du fondamentalisme après la mort de Machen.

La quatrième définition de l’évangélisme s’appuie sur les trois premières tout en les dépassant. Dans les années 1940, une coalition de protestants conservateurs qui valorisaient la conversion et l’évangélisation mais ne voulaient pas être considérés comme « fondamentalistes » a émergé, menée par le pasteur de la Nouvelle-Angleterre Harold John Ockenga. Cette coalition lâche et affiliation de « post-fondamentalistes évangéliques » a conduit à la fondation de la National Association of Evangelicals, du magazine Christianity Today, de la Evangelical Theological Society et d’une multitude d’autres organisations. Billy Graham a toujours été reconnu comme le leader de cet évangélisme.

Dans cet article, j’utilise la quatrième définition de l’évangélisme ; je m’y identifie très fortement. Les chercheurs ont identifié plusieurs caractéristiques cruciales et définitoires de cet évangélisme, qui n’est ni simplement synonyme de « protestantisme » ni fondamentaliste. J’en retiens cinq comme les plus utiles : (1) bibliciste, (2) conversionniste, (3) centré sur le Christ et la croix, (4) évangélisateur et réformateur social, et (5) multiconfessionnel. Cet évangélisme n’a pas de frontières nettes, mais possède un centre de gravité fort formé par ces cinq engagements. Depuis ses débuts dans les années 1940, cet évangélisme s’est toujours déclaré théologiquement orthodoxe (trinitaire, affirmant la divinité et l’humanité de Jésus-Christ, etc.) tout en évitant de s’identifier à une tradition ou orientation théologique particulière au sein du protestantisme orthodoxe. Beaucoup de ses leaders ont été réformés, mais il y a toujours eu aussi des arminiens. Et, jusqu’à récemment, la paix régnait entre calvinistes et arminiens dans cet évangélisme.

Définir l’arminianisme

L’arminianisme a aussi plus d’une définition. C’est une catégorie à multiples facettes. Bien que toutes les définitions et descriptions proposées remontent à Jacobus Arminius comme fondateur, et qu’elles insistent toutes sur son désaccord avec le calvinisme strict et surtout les trois points du calvinisme mentionnés plus haut, une grande diversité existe parmi les différentes tentatives de définition. Certains spécialistes de l’arminianisme soulignent sa proximité avec la théologie réformée et le voient comme une modification du calvinisme. C’est l’approche du spécialiste d’Arminius Carl Bangs, lui-même arminien2BANGS, Carl. Arminius: A Study in the Dutch Reformation. Grand Rapids, MI : Francis Asbury Press, 1985.. Le spécialiste réformé d’Arminius Richard A. Muller, en revanche, met en avant les différences entre la théologie d’Arminius et le calvinisme et soutient qu’Arminius travaillait à partir d’un paradigme entièrement différent de la théologie réformée - un paradigme plus proche et influencé par la théologie scolastique de Thomas d’Aquin3MULLER, Richard A. God, Creation, and Providence in the Thought of Jacob Arminius. Grand Rapids, MI : Baker Book House, 1991.. Le théologien réformé Alasdair I. C. Heron interprète l’arminianisme moins en termes de la propre théologie d’Arminius qu’en termes d’anti-calvinisme. Le dernier paragraphe de son entrée sur « l’arminianisme » dans l’Encyclopedia of Christianity est intéressant pour quiconque tente de définir l’arminianisme :

« Dans l’histoire ultérieure de la théologie, l’arminianisme est devenu un concept négatif ou délimitant. Pour les calvinistes orthodoxes, il désignait une erreur semi-pélagienne, tandis que ceux qui se disaient arminiens le considéraient principalement comme l’expression de leur opposition à la doctrine calviniste de la grâce ou au calvinisme. Les arminiens anglicans de haut rang du XVIIe siècle, tels que l’archevêque W. Laud (1573–1645), luttaient contre les puritains et voyaient l’arminianisme en termes d’Église d’État (érastianisme), ce qui était totalement étranger aux vues d’Arminius. Au XVIIIe siècle, John Wesley (1703–1791) décrivait sa prédication méthodiste du but de la perfection chrétienne comme arminienne. Là encore, le facteur décisif était moins un lien direct avec Arminius ou les remontrants qu’un rejet d’un calvinisme devenu sec et rigide. La préoccupation d’Arminius de réexaminer une doctrine de la prédestination devenue trop abstraite, en la considérant à la lumière du Christ et de la foi, était moins bien représentée par de tels mouvements que par la théologie réformée moderne elle-même, bien que non sans corrections substantielles4HERON, Alasdair I. C.. The Encyclopedia of Christianity. Grand Rapids, MI : William B. Eerdmans, 1999, p. 128–129.. »

Le théologien réformé Alan P. F. Sell a proposé une distinction entre « l’arminianisme de la tête » et « l’arminianisme du cœur » dans son traitement juste et équilibré de la controverse calviniste-arminienne intitulé The Great Debate: Calvinism, Arminianism, and Salvation5SELL, Alan P. F. The Great Debate: Calvinism, Arminianism, and Salvation. Grand Rapids, MI : Baker Book House, 1982.. Bien que les deux soient anti-calvinistes et protestants, le premier est principalement intellectuel et associé à l’anglicanisme de haut rang et même au déisme, et le second est piétiste. La question devient alors, bien sûr, de savoir lequel est le véritable ou le plus authentique arminianisme.

Je préfère définir l’arminianisme et la théologie arminienne en prenant Jacobus Arminius lui-même comme norme et pierre de touche d’authenticité. Cela semble être le seul moyen d’atteindre un certain degré de normativité pour une définition. J’adopte la même approche avec le calvinisme. Je le définis d’abord en termes de Calvin et de sa théologie telle qu’exprimée dans les Instituts de la religion chrétienne, et seulement secondairement en termes de théologie réformée postérieure. Certains critiques réformés de l’arminianisme insistent pour le définir en fonction des remontrants post-Arminius tels que Simon Episcopius, qui a dirigé la Fraternité des Remontrants après le Synode de Dordrecht (1618–19) qui a condamné l’arminianisme. Episcopius, et d’autres remontrants (le terme donné aux arminiens en Hollande après la mort d’Arminius), semblaient nier le péché originel et la dépravation totale, et affirmer la bonté humaine essentielle et la capacité de coopérer avec la grâce indépendamment de la grâce surnaturelle assistante (grâce prévenante). Lui et eux méritent peut-être l’étiquette de semi-pélagiens, alors qu’Arminius ne la mérite pas. Pas plus que les Wesley et une foule d’arminiens depuis Arminius. Les spécialistes s’accordent généralement à dire que les traités théologiques les plus systématiques et représentatifs d’Arminius, à partir desquels nous pouvons et devons extraire sa théologie, sont sa Déclaration des Sentiments (1608) et sa Lettre à Hippolyte de Collibus (1608). Ceux-ci représentent sa pensée mûre sur divers sujets, en particulier l’élection, la prédestination, le libre arbitre, la grâce et la justification. Il est mort moins d’un an après leur rédaction.

Je voudrais suggérer que l’essence de l’arminianisme, telle qu’elle apparaît dans ces essais et d’autres du théologien hollandais, n’est pas tant l’anti-calvinisme (bien qu’Arminius n’ait pas ménagé ses critiques à l’égard du calvinisme supralapsaire) que l’amour universel de Dieu pour l’humanité manifesté en Jésus-Christ et sa croix. Bien sûr, à côté de cela, il y a son thème jumeau : la liberté humaine rendue possible par la grâce pour accepter ou rejeter l’amour et la miséricorde de Dieu en Jésus-Christ. Arminius n’était pas du genre à s’attarder sur « l’amour de Dieu » en langage fleuri ou piétiste. Il aurait été repoussé par Zinzendorf, les moraves et peut-être même par la poésie romantique de Wesley exaltant l’amour de Dieu. Néanmoins, sous-tendant tout ce qu’Arminius a écrit, on trouve une conviction claire et ferme de la bonté universelle de Dieu et de son souci aimant pour l’humanité. Il s’est opposé à plusieurs reprises à la croyance que Dieu a choisi d’en sauver certains et d’en damner d’autres avant et indépendamment de toute décision libre ou acte qu’ils accomplissent. Typique est son cri : « C’est aussi une affirmation horrible, que certains hommes ont été créés pour la vie éternelle, et d’autres pour la mort éternelle »6ARMINIUS, Jacobus. Certain Articles to be Diligently Examined and Weighed. In : The Works of James Arminius. Grand Rapids, MI : Baker Book House, 1986, vol. 2, p. 710.. En expliquant sa théologie et sa divergence d’avec le calvinisme à un fonctionnaire nommé Hippolyte de Collibus, Arminius a exprimé les deux impulsions fondamentales mentionnées ci-dessus comme l’essence de l’arminianisme :

« [J’]évite avec le plus grand soin deux causes de scandale : que Dieu ne soit pas présenté comme l’auteur du péché, et que la liberté ne soit pas retirée à la volonté humaine : Si quelqu'un sait éviter ces deux offenses, il n'attribuera aucun acte à la providence de Dieu, que je ne sois moi aussi heureux de lui attribuer, pourvu qu'il ait une juste considération pour la prééminence divine7ARMINIUS, Jacobus. A Letter Addressed to Hippolytus A Collibus. In : The Works of James Arminius. Grand Rapids, MI : Baker Book House, 1986, vol. 2, p. 697–698.. »

Bien sûr, il faudra aller plus loin dans la définition et la description de l’arminianisme. La plupart des écrits d’Arminius ont trait au problème de la souveraineté de Dieu dans le salut, et plus particulièrement à la doctrine de l’élection. Tout en affirmant constamment la souveraineté de Dieu sur la nature, l’histoire et le salut, Arminius rejetait le monergisme strict et défendant à la place un synergisme évangélique. Le monergisme, bien sûr, est la croyance que Dieu est le seul agent causal. Il inclut la croyance en l’omnicasualité divine, la providence méticuleuse, et l’élection inconditionnelle ou la grâce irrésistible. Arminius croyait que le monergisme strict, tel qu’articulé par son collègue supralapsaire Franciscus Gomarus à l’Université de Leyde, ne pouvait tout simplement pas éviter de faire de Dieu l’auteur de tout péché et de tout mal, et de retirer la liberté et la responsabilité aux êtres humains. Contre le monergisme strict, Arminius proposait ce que l’on pourrait appeler un synergisme évangélique. Le synergisme est toute croyance en une coopération entre la volonté et l’action humaines d’une part, et la volonté et l’action de Dieu d’autre part. Le synergisme d’Arminius était « évangélique » parce qu’il évitait strictement toute trace de justice par les œuvres de type pélagien et faisait de la grâce surnaturelle et assistante de Dieu une nécessité absolue, même pour l’initium fidei - l’initiative de la foi - pour recevoir la grâce miséricordieuse et pardonnante du salut :

« Nul ne croit en Christ si ce n’est celui qui a été auparavant disposé et préparé par la grâce prévenante à recevoir la vie éternelle, à la condition sur laquelle Dieu veut la donner, selon le passage suivant de l’Écriture : “Si quelqu’un veut faire sa volonté, il connaîtra si ma doctrine est de Dieu, ou si je parle de mon propre chef” (Jean 7:17)8ARMINIUS, Jacobus. Certain Articles to be Diligently Examined and Weighed. In : The Works of James Arminius. Grand Rapids, MI : Baker Book House, 1986, vol. 2, p. 724.. »

L’essence de l’arminianisme, selon moi, réside donc dans un synergisme évangélique fondé sur la conviction profonde de la bonté universelle de Dieu, de son amour, et de la liberté humaine rendue possible par la grâce — liberté de recevoir ou de rejeter cette grâce. Bien entendu, ce point pourrait également s’appliquer à la théologie catholique romaine. Il faut donc ajouter un autre élément pour que la théologie d’Arminius puisse être qualifiée de véritablement évangélique, au sens du protestantisme classique. Contrairement à ce que semblent penser certains critiques réformés, Arminius a bel et bien affirmé que le salut s’obtient en Christ seul, par la grâce seule, au moyen de la foi seule, indépendamment de toute œuvre méritoire accomplie par l’être humain. De son vivant, Arminius a été violemment accusé d’être secrètement catholique romain - en sympathie théologique sinon en réalité ecclésiastique. Au mieux, cette calomnie résultait de son affirmation du synergisme dans le salut. Beaucoup d’opposants à Arminius, alors et maintenant, croient que le monergisme est la seule doctrine de la souveraineté de Dieu qui protège et assure le salut comme justification en Christ par la grâce au moyen de la foi seule, indépendamment des mérites acquis par l’effort ou la souffrance humaine. Nous examinerons cette question de plus près ultérieurement. Arminius fit tout ce qu’il put pour affirmer que le salut est un don pur, immérité, comme justice imputée :

« Pour l’instant, je dirai seulement brièvement [pour contredire l’accusation selon laquelle il niait la doctrine de la justification par la foi seule] : « Je crois que les pécheurs sont considérés comme justes uniquement par l’obéissance du Christ ; et que la justice du Christ est la seule cause méritoire pour laquelle Dieu pardonne les péchés des croyants et les considère comme justes comme s’ils avaient parfaitement accompli la loi. Mais puisque Dieu n’impute la justice du Christ à personne d’autre qu’aux croyants, j’en conclus que, dans ce sens, on peut bien et correctement dire : À celui qui croit, sa foi lui est imputée à justice par grâce, - parce que Dieu a présenté son Fils Jésus-Christ comme une propitiation, un trône de grâce [ou propitiatoire], par la foi en son sang », - Quelle que soit l’interprétation de ces expressions, aucun de nos théologiens ne blâme Calvin, ni ne le considère comme hétérodoxe sur ce point ; pourtant, mon opinion n'est pas tant différente de la sienne, je pourrais signer de ma propre main pour souscrire à ce qu'il a dit à ce sujet dans le troisième livre de ses Institutions ; je suis prêt à le faire à tout moment, et à leur donner ma pleine approbation9ARMINIUS, Jacobus. A Declaration of the Sentiments of Arminius. In : The Works of James Arminius. Grand Rapids, MI : Baker Book House, 1986, vol. 1, p. 700.. »

De même, des affirmations sans équivoque du salut en Christ seul, par la grâce seule, par la foi seule, y compris l’imputation de la justice du Christ indépendamment des œuvres méritoires sur la base de la foi en Lui seul, se retrouvent chez les « arminiens du cœur » ultérieurs, dont John Wesley.

Objections critiques à l’arminianisme

Une manière de comprendre une orientation théologique particulière consiste à examiner les objections qu’elle suscite chez ses critiques. Pourquoi est-elle controversée ? Ces objections sont-elles valides ? Comment l’orientation théologique critiquée - en l’occurrence l’arminianisme - y répond-elle ? Un tel exercice peut apporter un éclairage précieux sur une option théologique. La plupart des critiques de l’arminianisme ont été et sont d’orientation réformée ou calviniste. Parmi eux figurent des puritains tels que William Perkins, John Owen et Jonathan Edwards. Parmi les critiques réformés plus contemporains de l’arminianisme, on compte Michael Horton, R. C. Sproul et J. I. Packer. Quelques critiques de l’arminianisme sont eux-mêmes arminiens - c’est-à-dire des arminiens ayant « dépassé l’arminianisme » pour adopter ce qu’on appelle « le théisme ouvert », qui nie la prescience absolue et illimitée de Dieu. Parmi eux, on trouve Clark Pinnock, John Sanders et Gregory Boyd.

Quatre grandes lignes d’attaque ont été utilisées contre la théologie arminienne, notamment par les critiques réformés ; les théistes ouverts post-arminiens adhèrent à l’une d’elles. Bon nombre de ces critiques font écho aux préoccupations soulevées par Luther contre la croyance d’Érasme en la liberté du vouloir dans son De Servo Arbitrio (1525). Presque toutes se retrouvent dans Freedom of the Will de Jonathan Edwards.

1. L'arminianisme professerait une souveraineté faible de Dieu

La première, et peut-être la plus fondamentale, des critiques adressées à l’arminianisme est qu’il saperait la majesté et la souveraineté de Dieu ; en d’autres termes, il limiterait Dieu. Le philosophe et théologien évangélique britannique Paul Helm voit un lien intrinsèque entre l’omnicasualité divine et la providence méticuleuse d’une part, et le théisme chrétien classique d’autre part10HELM, Paul. The Providence of God. Downers Grove, IL : InterVarsity Press, 1994.. Les critiques réformés allèguent que l’arminianisme limite nécessairement, même si ce n’est qu’implicite, Dieu à tel point qu’il n’est plus vraiment Dieu. Comme le dit un théologien réformé : « S’il existe ne serait-ce qu’une molécule indisciplinée dans l’univers, Dieu n’est pas Dieu »11SPROUL, R. C. Now That’s a Good Question. Carol Stream, IL : Tyndale House, 1996, p. 25–26.. Jonathan Edwards affirmait que l’athéisme est la seule alternative logique à la croyance en l’omnicasualité divine. Luther accusait Érasme - qui, à certains égards, était un arminien avant l’heure - de diminuer Dieu en postulant la liberté humaine. Bien sûr, tant Luther que la théologie réformée, c’est-à-dire le monergisme chrétien, confessent la liberté humaine mais seulement dans un sens « compatibiliste ». Autrement dit, ils considèrent la liberté humaine comme compatible avec la détermination divine en définissant la « liberté » ou le « libre arbitre » comme la « capacité de faire ce que l’on veut faire ». Dieu, étant infini et tout-puissant, oriente la volonté humaine comme il le souhaite en lui donnant ses motifs déterminants. La plupart des théologiens réformés classiques considèrent que la croyance arminienne en un libre arbitre libertarien (non compatibiliste) - la « capacité de faire autrement » - limite Dieu de sorte qu’il n’est plus véritablement souverain sur les affaires humaines. Comme nous le verrons, la seule réponse légitime que les arminiens peuvent et doivent donner est que cela est vrai. Le Dieu des arminiens est limité d’une certaine manière. La seule question est de savoir si l’auto-limitation divine diminue nécessairement Dieu. Se pourrait-il que le refus de reconnaître la capacité de Dieu à s’auto-limiter diminue Dieu ? Et la croyance réformée en un Dieu omnicausal et tout-déterminant peut-elle éviter de faire de Dieu l’auteur du péché et du mal, et donc de ne pas être parfaitement bon ?

2. L'arminianisme serait du semi-pélagianisme

Une deuxième objection majeure des réformés à l’arminianisme est qu’il équivaut à du semi-pélagianisme (voire du pélagianisme) en ce qu’il nie la dépravation totale et implique un certain élément de mérite humain comme fondement du salut. Dans ce cas, les critiques réformés soutiennent que l’arminianisme nie la doctrine chrétienne fondamentale - affirmée même par la tradition catholique classique - du salut en Christ par la grâce seule. Le second concile d’Orange (529 ap. J.-C.) a condamné comme hérésie même l’idée que les humains déchus peuvent initier la repentance et la foi. Les réformateurs protestants magistériels ont affirmé la nécessité absolue de la grâce pour l’initium fidei. Les critiques réformés soutiennent que la sotériologie synergiste de l’arminianisme implique nécessairement, même si ce n’est pas explicitement formulé, que les personnes humaines contribuent de manière méritoire à leur propre salut, et que le salut n’est donc pas entièrement par grâce. Des êtres capables de contribuer à leur propre salut - même si ce n’est que par une décision de bonne volonté envers Dieu dans la repentance et la foi - ne peuvent pas vraiment être « morts dans leurs fautes et leurs péchés » et absolument dépendants de la grâce et de la miséricorde divines pour tout bien en eux. Les critiques réformés de l’arminianisme omettent presque toujours d’inclure le concept crucial de la grâce prévenante dans leurs descriptions de l’arminianisme. Cela est très frustrant pour les arminiens, car la grâce prévenante (assistance, antériorité, résistance possible) est, selon la théologie arminienne, la protection contre le pélagianisme et le semi-pélagianisme. La plupart des critiques réformés de l’arminianisme refusent simplement d’aborder ce sujet, sauf s’ils y sont contraints.

3. L'arminianisme n'affirmerait pas la justification par la foi seule

La troisième grande critique réformée de l’arminianisme est qu’il saperait nécessairement la doctrine protestante clé de la sola fides - le salut par la foi seule, indépendamment des œuvres. Bien sûr, cette objection est étroitement liée à la précédente, mais elle va un peu plus loin dans la question de la légitimité protestante de l’arminianisme. Autrement dit, même si les arminiens croient au salut par la grâce seule, comme ils le revendiquent sur la base de leur appel à la grâce prévenante, peuvent-ils vraiment confesser que le salut est « par la foi seule » comme le fait la tradition protestante ? Cela est inextricablement lié à la question de la justification comme justice imputée. Les critiques réformés soutiennent souvent que l’arminianisme sape toute la redécouverte protestante de l’Évangile et la notion que le salut est l’œuvre de Dieu en Christ pour l’humanité. Le salut n’est en rien un accomplissement qui se produit à l’intérieur des personnes par leurs décisions spirituelles et transformations. Dans ce cas, les critiques de l’arminianisme partent généralement du principe que la doctrine de Luther (avec laquelle Calvin était sans doute d’accord) du simul justus et peccator (toujours juste et pécheur en même temps) est normative pour le protestantisme. Autrement dit, selon les critiques, on n’est vraiment protestant théologiquement (et non sociologiquement) que dans la mesure où l’on affirme une vision fortement objectiviste de la justification, dans laquelle la relation juste du croyant avec Dieu est un don pur de la grâce de Dieu sous la forme de l’imputation de la « justice étrangère » du Christ, indépendamment de toute réceptivité ou activité libre du croyant qui ne ferait pas elle-même partie du « don ».

Bien sûr, une réponse évidente à cette objection est qu’elle suppose trop de choses. Les réformateurs radicaux comme les anabaptistes n’ont certainement pas affirmé ou promu une doctrine aussi objectiviste du salut. N’ont-ils pas fait partie de la Réforme protestante ? De nombreux théologiens protestants qui ne sont ni arminiens ni libéraux théologiquement ont remis en question la doctrine de la « justice étrangère » imputée et non transmise aux croyants. De plus, qui dit qu’on ne peut pas croire au salut par la grâce, par la foi seule, sans adhérer au schéma de la justification par imputation ? Les arminiens affirment qu’ils confessent la justification par la grâce, par la foi seule, mais ils admettent volontiers qu’ils n’affirment pas que la foi est un don imposé par Dieu. Au moins une partie de celle-ci est une réceptivité humaine libre à la grâce.

4. L'arminianisme serait incohérent sur la prescience divine

La quatrième critique courante de l’arminianisme est qu’il serait logiquement incohérent. Non seulement les critiques réformés, mais aussi les théistes ouverts post-arminiens affirment que l’arminianisme affirme de façon incohérente deux propositions mutuellement exclusives : (1) Dieu connaît parfaitement et de façon exhaustive l’avenir (et c’est la base de l’élection), et (2) les êtres humains disposent d’un libre arbitre libertarien, non compatibiliste. Les critiques soutiennent que ces deux affirmations cruciales de l’arminianisme s’annulent mutuellement et ne peuvent même pas être maintenues ensemble dans une tension paradoxale, car elles sont strictement incompatibles sur le plan logique. Si les êtres humains (ou tout autre être) ont la capacité de faire autrement, il est strictement impossible, même pour Dieu, de savoir quelle décision ils prendront (jusqu’à ce qu’ils la prennent, auquel cas ils n’ont plus la capacité de décider autrement). Les théologiens réformés estiment que cette incohérence présumée force les arminiens soit à accepter la préordination comme fondement de la prescience, soit à nier la prescience divine absolue. Les théistes ouverts sont d’accord et ont choisi de nier la prescience divine absolue. Les arminiens choisissent de vivre avec cette tension et d’attendre un secours de la philosophie. Ironiquement, ce secours pourrait venir, ou être déjà venu, d’un philosophe réformé, Alvin C. Plantinga, qui propose un argument très détaillé et subtil utilisant la logique modale pour résoudre l’incohérence apparente. Dans God, Freedom, and Evil, ce philosophe calviniste tente de montrer que la prescience absolue peut être fondée sur des décisions futures, libres et contingentes12PLANTINGA, Alvin C. God, Freedom, and Evil. Grand Rapids, MI : William B. Eerdmans, 1974..

De toute évidence, l’arminianisme fait face à un défi de taille de la part de ses critiques. Peut-il être à la hauteur ? Je le pense. Je crois que toute position ou système théologique peut être renforcé en affrontant et en travaillant les critiques légitimes de ses adversaires. Certaines des critiques de l’arminianisme mentionnées ci-dessus ne sont pas entièrement légitimes, car elles reposent sur des présupposés intenables ou du moins très discutables. Certaines sont largement fondées sur des malentendus de l’arminianisme. D’autres semblent viser davantage certaines formes dégradées de l’arminianisme que l’arminianisme historique, classique, et surtout « l’arminianisme du cœur ». Il n’est pas rare, par exemple, de voir Simon Episcopius ou le revivaliste américain du XIXe siècle Charles Finney utilisés par les critiques réformés comme exemples types de l’arminianisme. Beaucoup, sinon la plupart, des arminiens ne considéreraient pas ces figures comme les meilleurs représentants de l’arminianisme. Dans la suite de cet article, je voudrais présenter la défense de l’arminianisme en exposant ses réponses aux quatre grands défis soulevés par ses critiques.

L’option arminienne au sein de la théologie évangélique

Mon objectif est d’éclairer le véritable arminianisme de manière à ce qu’il soit évident pour le plus grand nombre, y compris les évangéliques réformés, que la théologie arminienne est une option légitime au sein de la théologie évangélique. Autrement dit, je souhaite démontrer que « arminien évangélique » n’est pas un oxymore. La meilleure façon d’y parvenir est de répondre aux arguments visant à exclure l’arminianisme du cercle de l’authentique évangélisme.

1. Auto-limitation et transcendance divines sont compatibles

Je partage l’inquiétude de certains critiques de l’arminianisme qui tiennent à protéger la transcendance de Dieu contre toute atteinte. Je n’ai aucune sympathie pour les théologies panenthéistes qui présentent Dieu comme essentiellement limité au point d’être dépendant du monde pour son être. Il me semble que la théologie évangélique, dans toutes ses acceptions historiques, a toujours proclamé et proclame encore un Dieu transcendant, saint, majestueux, libre de toute limitation imposée de l’extérieur. Le véritable arminianisme classique préserve-t-il et protège-t-il la transcendance et la majesté de Dieu ? Je le crois. Arminius lui-même n’a pas particulièrement cherché à élaborer une doctrine systématique de l’être et des attributs de Dieu, mais on trouve dans ses écrits de nombreuses affirmations de la grandeur divine. En fait, l’un de ses principaux arguments contre le supralapsarianisme (et sans doute contre le calvinisme classique en général) était qu’il portait atteinte à la gloire de Dieu. Dans ce cas, il ne pensait pas tant à la gloire de Dieu en termes de puissance et de liberté d’action qu’en termes de caractère. Dans ses « Articles à examiner et à peser avec soin », Arminius exprime une haute vision de la transcendance de Dieu comme autosuffisance : « Dieu est bienheureux en lui-même et dans la connaissance de sa propre perfection. Il ne manque donc de rien, ni n’a besoin de manifester ses attributs par des opérations extérieures : cependant, s’il le fait, il est évident qu’il le fait de sa pure et libre volonté »13ARMINIUS, Jacobus. Certain Articles to be Diligently Examined and Weighed. In : The Works of James Arminius. Grand Rapids, MI : Baker Book House, 1986, vol. 2, p. 707..

Mais qu’en est-il des objections selon lesquelles si quoi que ce soit dans la nature ou l’histoire n’est pas décrété et prédestiné par Dieu, ou si une partie de la connaissance de Dieu dépend des décisions et actions contingentes des créatures, alors Dieu ne serait plus suprême, infini, autosuffisant, etc. ? Arminius a traité cette objection en termes d’auto-limitation divine, qu’il appelait « l’auto-engagement de Dieu ». En réponse au théologien puritain William Perkins, Arminius écrit : « Il est évident que Dieu, lorsqu’il a concédé à l’homme la liberté de la volonté, et ce, afin qu’il puisse l’utiliser, ne devait pas, et même ne pouvait pas empêcher la chute de telle manière qu’il aurait porté atteinte à l’usage de cette liberté ; et donc il n’était pas tenu de l’empêcher autrement qu’en accordant la force nécessaire et suffisante pour éviter la chute »14ARMINIUS, Jacobus. Examination of Dr. Perkin’s Pamphlet on Predestination. In : The Works of James Arminius. Grand Rapids, MI : Baker Book House, 1986, vol. 3, p. 284.. Les arminiens suivent Arminius dans l’affirmation que Dieu est si grand qu’il peut s’auto-limiter ou « s’engager » afin d’accorder une véritable liberté (libertarienne) à ses créatures. L’objection classique à cela - que la nature divine ne peut être limitée d’aucune manière, y compris par auto-limitation - semble se retourner contre elle-même en limitant Dieu à n’être qu’illimité.

2. La grâce prévenante contre le semi-pélagianisme

Tout le monde sait déjà que les arminiens, à la suite d’Arminius, rejettent avec force les doctrines calvinistes fondamentales de l’élection inconditionnelle (prédestination absolue au salut) et de la grâce irrésistible (la grâce surnaturelle de Dieu pour le salut étant toujours efficace). Arminius proposait à la place l’élection conditionnelle (prédestination fondée sur la foi prévue) et la grâce prévenante (grâce assistante mais résistible). L’ordo salutis arminien sape-t-il nécessairement la doctrine chrétienne cruciale du salut en Christ par la grâce seule ? Entre-t-il nécessairement en conflit avec les principes protestants essentiels du salut par la foi seule ? Je ne le pense pas. Arminius rejetait ce qu’il appelait « toute la troupe des pélagiens et semi-pélagiens »15ARMINIUS, Jacobus. Examination of Dr. Perkin’s Pamphlet on Predestination. In : The Works of James Arminius. Grand Rapids, MI : Baker Book House, 1986, vol. 3, p. 273.. Il aurait difficilement pu affirmer plus fermement son opposition à ces courants ou son adhésion au salut par la grâce seule et indépendamment des œuvres :

« En ce qui concerne la grâce et le libre arbitre, voici ce que j'enseigne conformément aux Écritures et au consensus orthodoxe : Le libre arbitre est incapable de commencer ou de perfectionner un bien véritable et spirituel, sans grâce. Pour qu’on ne puisse pas dire, comme Pélage, que je joue sur le mot « grâce », j’entends par là la grâce du Christ, celle qui appartient à la régénération : J'affirme donc que cette grâce est simplement et absolument nécessaire pour illuminer l'esprit, ordonner les affections et incliner la volonté vers le bien. C’est la grâce qui […] incline la volonté à exécuter de bonnes pensées et de bons désirs. Cette grâce [praevenit] précède, accompagne et suit ; elle excite, assiste, fait que nous voulions coopérer de peur que nous ne le fassions en vain. Elle détourne les tentations, assiste et accorde du secours au milieu des tentations, soutient l’homme contre la chair, le monde et Satan, et dans ce grand combat lui accorde la victoire. Elle relève ceux ont été vaincus et qui sont tombés, elle leur donne de nouvelles forces, et les rend plus prudents. Cette grâce commence le salut, le promeut, le perfectionne et l’achève. J'avoue que l'esprit d'un homme naturel et charnel est obscur et sombre, que ses affections sont corrompues et excessives, que sa volonté est rebelle et désobéissante, et que l'homme lui-même est mort dans ses péchés. Et j'ajoute que tout enseignant qui attribue le plus possible à la grâce divine obtiendra ma plus haute approbation, pourvu qu'il plaide la cause de la grâce sans porter atteinte à la justice de Dieu, et sans retirer tout libre arbitre à ceux qui font le mal16ARMINIUS, Jacobus. Certain Articles to be Diligently Examined and Weighed. In : The Works of James Arminius. Grand Rapids, MI : Baker Book House, 1986, vol. 2, p. 707.. »

Il est donc clair qu’Arminius (et tous ses fidèles successeurs, y compris John Wesley, qui exaltait la grâce tout autant) n’était ni pélagien ni semi-pélagien, et qu’il croyait et enseignait la nécessité absolue de la grâce surnaturelle du Christ, même pour les premiers élans du désir de salut.

3. L'affirmation de justification par la foi seule

Les arminiens affirment-ils la justification par la foi seule ? Là encore, Arminius peut parler pour lui-même :

« Le dernier article [de la lettre à Hippolyte de Collibus] concerne la justification, sur laquelle voici mes sentiments : la foi, et la foi seule (bien qu’il n’y ait pas de foi sans œuvres), est imputée à justice. Par elle seule nous sommes justifiés devant Dieu, absous de nos péchés, et considérés, déclarés JUSTES par Dieu, qui accorde sa justice depuis le trône de la grâce […] Le mot « imputer » signifie que la foi n’est pas la justice elle-même, mais qu’elle est gracieusement comptée à justice ; par là toute valeur propre est retirée à la foi, excepté celle qui vient de la gracieuse estimation de Dieu. Mais cette estimation gracieuse n’est pas sans Christ, mais en référence à Christ, en Christ, et à cause de Christ ; que Dieu a établi comme propitiation par la foi en son sang17ARMINIUS, Jacobus. A Letter Addressed to Hippolytus A Collibus. In : The Works of James Arminius. Grand Rapids, MI : Baker Book House, 1986, vol. 2, p. 700–701.. »

Que pourrait-il dire de plus ? Et on retrouve les mêmes affirmations sur le salut en Christ par sa grâce, par la foi seule, dans les écrits de John Wesley et d’autres arminiens classiques. Le fait que cela ne semble jamais satisfaire certains critiques réformés est sûrement la preuve qu’ils partent d’un présupposé incorrigible selon lequel la justification par la grâce seule, par la foi seule, est inséparable du monergisme strict. Ce n’est pas le cas. Tous les arminiens classiques l’ont toujours confessé, indépendamment du monergisme strict. C’est là l’essence du « synergisme évangélique ».

4. Pas d'incohérence fondamentale entre prescience divine et liberté humaine

La quatrième objection adressée à l’arminianisme ne vient pas seulement de certains critiques réformés, mais aussi de théistes ouverts post-arminiens. Il s’agit de l’affirmation selon laquelle l’arminianisme classique serait logiquement incohérent, comme expliqué dans la section précédente. Une réponse à cette ligne d’attaque est simplement la vieille réponse du tu quoque - « vous aussi ! » Autrement dit, du point de vue arminien, le calvinisme classique comme le théisme ouvert comportent des incohérences logiques tout aussi grandes, sinon plus, que celle qui serait le talon d’Achille de l’arminianisme. Cependant, les arminiens estiment que l’accusation d’incohérence logique entre la prescience divine exhaustive et infaillible et le libre arbitre libertarien des créatures n’est pas aussi décisive que certains critiques le prétendent. Comme mentionné plus haut, certains philosophes, dont le penseur réformé Alvin Plantinga et le philosophe arminien Bruce Reichenbach, affirment avoir résolu ce conflit logique. Bien sûr, Arminius lui-même le résolvait en posant l’intemporalité de la connaissance divine, de sorte que la prescience de Dieu n’est pas de la simple prévision mais une connaissance éternelle. Cela ne satisfera ni les critiques réformés ni les théistes ouverts, car le même problème semble subsister : comment Dieu peut-il connaître de façon exhaustive et infaillible ce que feront des créatures dotées d’un véritable libre arbitre libertarien, sans que sa connaissance n’entre en conflit avec leur capacité à agir autrement ? C’est une énigme logique, et les arminiens devraient (et le font souvent) simplement l’admettre. Tous les systèmes théologiques rencontrent à un moment ou à un autre des difficultés logiques. Parfois, il faut accepter le système qui comporte le moins de tensions et de conflits, ou du moins ceux avec lesquels on peut le plus facilement vivre.

Ma confession est que je suis un arminien évangélique frustré. Je suis frustré parce que tant de mes frères et sœurs évangéliques semblent si déraisonnablement biaisés contre la théologie arminienne et si fermés à toute correction sur ce qu’est réellement la théologie arminienne. Lorsqu’ils sont confrontés à certains excès ou extrêmes de l’orthodoxie scolastique réformée (comme la déclaration de Théodore de Bèze selon laquelle ceux qui se retrouvent en enfer peuvent au moins se consoler de savoir qu’ils y sont pour la plus grande gloire de Dieu), ils invoquent souvent Calvin, qui était plus modéré, mesuré et subtil. Mais ils sont rarement disposés à me laisser, à moi ou à d’autres arminiens, invoquer Arminius lorsqu’ils décrivent l’arminianisme en utilisant Episcopius, Finney ou même la religion populaire décisionniste comme paradigme. Ma confession est aussi que je suis un arminien évangélique heureux, fier et satisfait. Bien que je sois tout à fait disposé à considérer les objections et critiques adressées à l’arminianisme, je ne vois aucune raison de m’excuser ou de cacher le fait que je suis théologiquement arminien.


Article original : OLSON, Roger E.. Confessions of an Arminian Evangelical. In : KELLER, Roger R., MILLET, Robert L.. Salvation in Christ: Comparative Christian Views. Provo, UT : Religious Studies Center, Brigham Young University, 2005, p. 183-203. Disponible à l'adresse : https://rsc.byu.edu/salvation-christ-comparative-christian-views/confessions-arminian-evangelical

Source des citations bibliques : La Sainte Bible : nouvelle édition de Genève 1979. Genève : Société Biblique de Genève, 1979.

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